Acta fabula
ISSN 2115-8037

2017
Janvier 2017 (volume 18, numéro 1)
titre article
Philippe Richard

La griffe de Dieu

Carole Auroy, Hôtes du langage. Claudel, Mauriac, Bernanos, Green, Paris : Honoré Champion, coll. « Littérature de notre siècle », 2015, 560 p., EAN 9782745328960.

1L’herméneutique est née dans le champ théologique. Elle possède donc une pleine légitimité pour travailler les auteurs catholiques de l’entre-deux guerres. Telle est la conviction du livre de Carole Auroy. Comprendre les textes alliant toujours le fini et l’infini ou l’amour du monde et l’étrangeté au monde, dans ce que l’on peut entendre comme un authentique feuilleté de significations, revient ainsi à croiser incessamment les sciences humaines pour développer une plus juste lecture des œuvres. Le pari de l’essai se formule donc de façon simple (« dans le domaine français, on doit notamment évoquer le rôle capital exercé par Paul Ricœur dans les échanges qui s’effectuent entre réflexion philosophique, théorie littéraire, et pratique de la critique – rôle dont le présent ouvrage espère témoigner » ; p. 8) et ne permet alors plus que l’on s’étonne d’y croiser soixante-dix fois Ricœur et trente-huit fois Girard en cours d’analyse. Tout juste pourrait-on trouver cela abyssal si l’on demeurait attaché à la pratique de la micro-lecture dans les études littéraires et si l’on croyait révolu le temps des commentaires thématiques d’ensemble en masses compactes. Mais il convient avant tout de rendre justice aux choix d’auteur, et le livre de C. Auroy nous le permet aisément tant est impressionnante l’ampleur des matières embrassées et stimulante la hauteur des vues spirituelles proposées. L’important développement méthodologique qui introduit l’ouvrage n’en est pas moins nécessaire pour faire comprendre au lecteur la direction du livre. Les grands axes y sont présentés : l’herméneutique sera partout et cernera la question originelle qui se trouve pénétrer tout texte et rejaillir, à partir de la conscience de l’auteur, sur tout le processus d’écriture ; le texte se lit toujours moins qu’il ne se vit et nous appelle à retrouver le rôle de l’émotion dans la compréhension des œuvres (ce qui n’est pas sans suggérer toutefois, et paradoxalement, qu’une lecture phénoménologique serait sans doute ici tout aussi indiquée pour cerner une telle dimension) — or il s’agira surtout de rechercher l’émotion ressentie à l’époque de publication, pour contextualiser la réception et ne pas quitter ainsi un mouvement herméneutique — ; le rapport fondamental des écrivains à la parole (« la pratique de la traduction biblique par Claudel, les voyages de Green entre le français et l’anglais les rendent particulièrement attentifs au processus de l’accueil linguistique », p. 12) engage l’écoute du silence dans les textes (« derrière la conscience de la diversité des langues en leur diversité se profile la question, fondamentale, de l’hospitalité du langage humain à un sens transcendant, stable et transmissible, qui inscrit dans les œuvres une présence du réel et permet à l’écriture d’orienter vers l’être sa visée », ibid.) ; l’intérêt pour la fabulation devancera la réflexion sur l’ontologie ; et la violence, par la médiation girardienne, sera l’un des prismes majeurs de la réflexion du livre. On le comprend donc, l’ambition de l’auteur est ici d’interroger la spiritualité des écrivains à l’aune d’une méthode réellement apparentée à la démarche même de la critique thématique :

Mais que les surgissements dans l’œuvre du désir d’absolu soient, à l’examen, des foyers d’ambiguïtés révèle dans l’écriture une authentique aventure spirituelle : au dynamisme d’une foi qui nourrit l’ardeur d’un questionnement plutôt que de formater le travail de l’imaginaire répond la puissance exploratoire de la fiction. (p. 15)

Jeunes années (Green)

2Si l’écriture de Green insiste sur les moments brusques et fugaces où apparait un bonheur de vivre jaillissant, c’est parce que de tels moments sont capables de donner à voir l’apparition paradoxale de Dieu parlant dans le monde par son silence même. Nous sommes donc au seuil du langage, dans le préréflexif ou l’intuitif, et dans une langue qui énonce, à proprement parler, et malgré l’oxymore, le pré-linguistique. Il y aurait d’ailleurs là, selon nous, une forme de poétique franciscaine à étudier en elle-même. Voilà qui permet en tout cas au livre de réfléchir sur le langage, sa performativité possible, la transparence de son signe – et à tout ce qui se cache et se scelle en eux, jusqu’à Dieu peut-être, puisque le silence est profondément éloquent. Ne retrouve-t-on pas ici la propre définition de la rhétorique du sublime ?

Mémoires intérieurs (Mauriac)

3Lorsque l’écriture de Mauriac médite sur la douleur de la séparation et la nostalgie de l’unité, elle s’oppose aux théories romantiques faisant de l’écrivain le révélateur unique d’une alliance mystérieuse entre le sujet et le monde. Il ne s’agit pas de dire que cette alliance n’existe pas, mais qu’elle est au terme et non au commencement — au terme d’un redéploiement de l’affectivité dans un cœur qui choisit de croire malgré tout au sein des vicissitudes du temps. Or, si l’évocation du « zimzum » kabbalistique n’est pas en ce cadre d’une grande clarté — comment réduit-il en effet le hiatus entre le sujet et le monde plutôt qu’il ne l’aggrave au contraire ? —, il est évident que la figure incarnée du Christ se révèle capable de rétablir sereinement l’être-là face à l’étant et de faire voir, par exemple, la splendeur du printemps pendant la semaine sainte. Notons ici l’apparition heureuse de Balthasar, habituellement fort oublié de la critique (« ainsi, qui se mettrait à l’écoute de son propre cœur, de son cœur de chair, se laisserait instruire sur la pulsation même de l’être », p. 112) — même si le prisme cosmologique choisi risque de rendre alors l’analyse un peu abstraite. De là à dire que nous ne sommes pas et que ce qui est bon en nous est Dieu même, il n’y a qu’un pas (« esthétique et éthique de l’écriture s’articulent étroitement à une anthropologie et une métaphysique qui désignent l’intime à la fois comme le lieu menaçant de l’informe et le site mystérieux de l’indicible », p. 114). Ce qui engage naturellement encore le silence et sa rhétorique (« désir de sculpter le dit par les limites du non-dit, à l’image du travail sur soi par lequel la personne se façonne, endiguant le magma explosif de la vie pulsionnelle », ibid.).

Connaissance de l’Est (Claudel)

4L’écriture de Claudel a toujours l’air de s’élancer vers un ailleurs formidable alors que son premier objet semble pourtant l’exploration de soi-même pour se connaître (« Au poète, les Cinq grandes Odes assignent la fonction d’être un “semeur de silence”, d’instaurer cette qualité d’écoute dans laquelle seule la voix de Dieu deviendra perceptible », p. 119). On pourra toujours dire que la subjectivité poétique, par son investissement massif d’une intellectualité revendiquée et d’une intertextualité affirmée, manque un peu de cet abandon qui laisserait véritablement parler l’autre en soi et ferait authentiquement descendre le ‘je’ lyrique dans le silence (faut-il d’ailleurs vraiment qualifier d’« indices ténus » les échos au texte évangélique, selon nous massifs et auxquels le poète semble incapable de renoncer, que sont la « couleur pourpre du paysage » pour le manteau du Christ ou la « sombre nuée » pour les ténèbres couvrant la terre à l’heure de la croix ?, p. 122). Mais C. Auroy souhaite simplement entrer dans les intentions mêmes de Claudel, qui souhaite lui-même que toute chose lui devienne expérience spirituelle (« le promeneur dont la lucidité répudie tout regard vain sur les choses reçoit, en même temps qu’une conscience affinée de l’inéluctable mort, la révélation d’une plénitude », p. 123). À partir de l’obsession claudélienne pour le temps liturgique, l’étude relit alors Connaissance de l’Est à l’aune de motifs bibliques et carmélitains (p. 128‑131), même si nous nous permettrons de croire discerner en ce dernier cas de véritables allégories qui seraient par exemple bien plus claires et bien plus patentes chez Bernanos. Il n’en reste pas moins que c’est là l’occasion de beaux passages critiques très poétiquement écrits et caractéristiques du geste empathique de C. Auroy en cet ouvrage :

Même si le texte est inspiré d’événements vécus, promenades effectivement faites autour de Fou-Tcheou, et si l’on peut penser que l’écriture est gonflée de souvenirs, c’est une promenade autre qui est suscitée ici : une promenade imaginaire au sens plein, l’événement mental, objectivé en images, qui se réalise au présent dans le tracé de l’écriture et qui donne au lecteur en partage une expérience indissociable de son énonciation. (p. 131)

Désormais clairement posé comme second par rapport à une donation et une sollicitation qui le débordent, le verbe poétique se tient au seuil de l’ineffable, comme le promeneur au seuil de la plaine radieuse. (p. 134)

Or ce qui surgit « là-bas », à la distance de la contemplation, ne serait-ce pas la réalité du monde, transcendante au poème, mais que le poète a pouvoir de recréer, à portée de bras, dans l’ici de la page balayée par l’écriture ? (p. 137)

Chaque homme dans sa nuit (Green)

5Les motifs psychanalytiques jouent un rôle essentiel dans l’œuvre de Green. Mais l’étude croise surtout cette dernière avec les analyses de Ricœur sur la culpabilité, évoquant souvent une « vindicte de la pureté » chez celui qu’une pratique de la loi affolante renvoie inéluctablement à la panique — c’est en ces termes que se pose par exemple le problème de la chasteté pour Wilfred, car la loi est toujours ce qui condamne dans un imaginaire greenien perpétuellement en lutte contre la chair (considérée comme la racine du mal, une fois oubliée l’extériorisation de la part aliénée de l’être qui constitue bien plutôt le mal même). Il est clair qu’aucune observance n’a jamais délivré personne (logique de rétribution ou prisme pélagien) et que c’est bien plutôt le pardon qu’il faut incessamment quêter en ces affaires (logique de rédemption ou prisme chrétien) :

Et si cette conscience [être entre le ciel et l’abîme] est avivée dans le bar bien plus qu’à l’église, c’est que le mauvais lieu interdit d’ignorer la part de soi qui demande à être sauvée. Aussi la connaissance de Dieu qui est acquise va-t-elle bien au-delà de la certitude de son existence : elle est connaissance intime, affective, dramatisée, de Dieu comme sauveur. (p. 216)

6Il y a vraiment une esthétique franciscaine de Green.

Sous le Soleil de Satan (Bernanos)

7S’il y a mise en fiction du combat spirituel chez Bernanos, cela ne va jamais sans une incarnation du texte en des corps qui ont charge de le porter : « la réflexion s’ancre dans la chair d’une expérience du monde et d’une relation à l’autre, au sein d’un roman qui donne à voir le combat spirituel des personnages en même temps qu’il donne à lire le discours qui tente de l’éclairer » (p. 267). S’ouvre ainsi la possibilité d’une phénoménologie du corps qui n’est cependant pas l’objet de la présente étude (les pages 296-298 ne font malheureusement que l’ébaucher). Pour l’heure, cet entrelacs très pertinent entre spiritualité et corporéité mériterait aussi selon nous d’être croisée avec le texte matriciel de Rm VIII, plutôt qu’avec Ricœur (encore), tant ce texte biblique permet de comprendre la réception de la question du péché originel par le romancier. Il n’en reste pas moins que l’écriture de l’indicible, justement notée, est alors, et de manière fort conséquente, étudiée de façon rhétorique, c’est-à-dire selon son incarnation dans le texte narratif même, dans une perspective littéraire tout à fait stimulante : la montée de l’angoisse en Donissan est par exemple comprise par le double biais de l’indéfinition et de la comparaison (« cela le gêne, l’irrite, pareil à un dernier lien qu’il n’ose rompre ») ou par l’association du discours indirect libre avec le renversement sujet/objet (« cela brisé, où le flot l’entraînerait-il »). L’entrelacement des voix est au demeurant typique chez Bernanos — une focalisation interne à Donissan peut être simultanément soutenue par les yeux de témoins intradiégétiques et par un regard omniscient insituable (contemporain de l’hébétude du personnage mais extérieur à lui) — cette structuration du discours se doublant en outre d’une intertextualité biblique et d’un symbolisme du fond (une très belle analyse exemplifiante nous en est donnée p. 290‑293). Se donne bien « un mode élargi d’appréhension du réel » (p. 294). On se permettra simplement de se demander, même si cela change certes un peu de Ricœur, pourquoi une référence subite à Évagre le Pontique (p. 283) lorsqu’il s’agit simplement de regarder la croix pour se soutenir (le motif est présent chez Thérèse d’Avila, et nous sommes sûrs au moins que Bernanos a lue et relue la grande mystique espagnole – visée critique plus phénoménale qu’originaire).

Adrienne Mesurat (Green)

8Il est clair que les romans sans Dieu n’équivalent pas à la misère de l’homme sans Dieu, pas plus qu’ils ne la disent d’ailleurs. Puisqu’un nouveau paradigme doit être trouvé pour comprendre ce hiatus, la proposition de C. Auroy est de convoquer la spirale du mimétisme chez Girard. Voilà bien un questionnement métaphysique.

Partage de midi et Le Soulier de satin (Claudel)

9La forte ritualité du théâtre de Claudel se prête certes particulièrement à l’analyse herméneutique : « Le drame humain porté sur scène se joue sous l’horizon du drame du salut, ce qui fait du rite théâtral une cérémonie aux tonalités eucharistiques » (p. 341). C’est que la violence sacrificielle qui peut s’y exprimer devient en effet un champ d’expérimentation rêvé pour les propositions de Ricœur et de Girard. Mais c’est aussi que, lorsqu’il y a plusieurs états du texte, comme c’est le cas avec Partage de midi, le feuilleté de l’ensemble se prête lui-même à des analyses stimulantes (la troisième version n’étant pas nécessairement la meilleure et n’existant d’ailleurs pas sans la matrice absolue qu’est la première). Et quand il y a là de surcroît du désir mimétique, alors la mesure est comble. Claudel pose en tout cas véritablement la question de la violence dans l’expression du rapport à Dieu (« Rappeler les morts à la vie, / Nous ne pouvons le faire, mais la nôtre encore est à nous. / Nous pouvons donc tourner honnêtement le visage vers le Vengeur, / En disant : “Nous voici. Payez-vous sur ce que nous avons”. Nous pouvons cela »). On comprend que C. Auroy s’arrête par conséquent longuement sur les ambiguïtés du sacrifice dans le Soulier de satin, en une étude aussi foisonnante que peut l’être la pièce de Claudel elle-même. L’affrontement des doubles révèle ainsi que s’immoler avec la haine au cœur est une aberration ou qu’un chantage au seuil de la damnation est un non-sens — les personnages claudéliens se servant du reste souvent d’interprétations théologiques perverses (« mon âme ne peut être rachetée que par la vôtre, et c’est à cette condition seulement que je vous la donnerai »). Au lecteur de discerner alors le chemin viable — opération de discernement qui n’est d’ailleurs pas sans reprendre la propre démarche herméneutique :

La mise en œuvre de la concurrence des désirs ouvre la concurrence des interprétations. Le piège serait sans doute de sanctionner le triomphe d’une lecture au détriment de l’autre, ou encore de les laisser se neutraliser réciproquement, dans un figement de l’activité herméneutique comparable à l’immobilisation de la nef de Rodrigue devant Mogador. Les « sources obscures » auxquelles s’alimentent le sacrifice des personnages et, probablement, la fabulation elle-même ne dissolvent pas nécessairement ce que dit « en clair » le texte, ce qu’il parvient à porter à la clarté — c’est-à-dire, si l’on accepte d’entrer dans l’optique claudélienne, une joie parfaite qui ne saurait qu’être entrevue, et que l’écriture elle-même ne peut qu’approcher. (p. 427-428)

Journal d’un curé de campagne (Bernanos) et L’Agneau (Mauriac)

10L’importance de l’immolation et du sacrifice chez Mauriac et Bernanos est assez connue, dans le contexte si particulier de la Première Guerre, et se trouve ici presqu’intégralement ressaisie à l’aune des idées de Girard. Ce qui est moins connu, c’est l’importance qu’ont les visages pour décrire ces états d’immolation. Mais expliquer cette structure esthétique avec Levinas nous semble à la fois trop attendu et finalement peut-être peu adéquat (p 467) ; l’erreur est maintenant classique de christianiser le philosophe et de lui faire dire que la fragilité du visage appelle la compassion et donne parfaitement le climat de la kénose (p. 468), ce que non seulement il n’a jamais dit mais encore fausse son enracinement juif (parfaitement transcendant en son appel à la loi). On retiendra en revanche les très justes analyses consacrées au sacrifice de l’affectivité et à l’état d’insularité, deux états fondant la contemplation mondaine lorsque le sujet réalise que « l’appel divin prend pour lui la forme d’une perpétuelle exposition au risque de l’autre » (p. 472) : Xavier et le curé d’Ambricourt préfèrent être seuls mais savent bien en effet que le contact avec autrui, qui les arrachent à leur moi, est pour eux sanctification absolue, y compris au sein de l’épreuve, ou plus justement par l’épreuve même. Car voir en l’autre ses propres faiblesses et les regarder avec une compassion telle que cela fait advenir le goût de Dieu, voilà bien le sublime.  De là cette réalité d’abandon qui est si essentielle en théologie chrétienne : « Ce doit être un regard doux, triste, patient, et j’imagine qu’il ressemble un peu au mien lorsque je cesse de me débattre, que je me laisse entraîner par ce grand fleuve invisible qui nous porte tous, pêle-mêle, vivants et morts, vers la profonde Éternité », écrit génialement Bernanos à ce sujet. En somme, soi-même comme un autre par la détresse, le dessaisissement de soi et l’empathie. L’abandon du curé d’Ambricourt, dont le personnage n’a d’ailleurs pas conscience, lui fait ainsi rejoindre la nuit spirituelle de ceux qui ne croient plus et, ce faisant, par substitution et poétique de l’implicite, propose une voie de salut — la discrétion de cette proposition sauvant elle-même le sacrifice d’une logique transactionnelle pour le maintenir dans une logique de donation, loin de toute théodicée qui détruirait en effet la force romanesque du récit (p. 488).

11Même si l’on pourrait certes regretter que la place faite aux microlectures soit trop minime ou que la présence des sciences humaines soit trop systématique, on trouvera donc cette étude de C. Auroy très stimulante et très bien écrite. Il est tout à fait juste chez nos auteurs que « la sotériologie dont ils héritent sort[e] repensée de l’aventure fictionnelle » (p. 519), car la démarche d’un romancier est avant tout littéraire et ne démontre rien (mais elle montre et manifeste en revanche puissamment). Là se tient l’apport décisif aux relations entre littérature et spiritualité qui se comprennent sous la dénomination balthasarienne d’esthétique théologique :

Il est frappant de voir les explorations imaginaires conduites par les quatre auteurs accompagner, et même devancer, les efforts accomplis par la théologie de leur siècle pour expurger le discours sur la Passion et sur l’eucharistie des tendances archaïques actives dans l’imagerie sacrificielle, qui projettent sur la divinité les requête de la violence humaine. (p. 517)

12Là réside encore cette petite musique du style que nous font entendre les écrivains catholiques de l’entre-deux Guerres et qui ne cesse d’être fascinante :

Cette infiltration du silence dans l’acte d’écriture doit sans doute beaucoup à la sensibilité poétique des écrivains. Comment ignoreraient-ils que le silence est une composante du chant, au point que la musique elle-même se donne à ressentir comme l’art de faire chanter les silences, depuis notamment que l’âge baroque a matérialisé les soupirs sur la partition ? Mais l’interprétation, au sens intellectuel et musical, du silence est aussi à l’évidence gouvernée par leur sensibilité religieuse, en un siècle où la parole poétique, fascinée par sa propre exténuation et par le blanc de la page, hésite entre une métaphysique de la présence et une métaphysique de l’absence, jusqu’à confondre dans une réappropriation ambiguë de la théologie négative la jouissance vertigineuse du retrait du sens et la plénitude de l’ineffable. (p. 144)

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