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Cahiers George Sand, n° 41, 2019 :

Cahiers George Sand, n° 41, 2019 : "George Sand et la pensée du mal"

Publié le par Université de Lausanne (Source : Damien Zanone)

Appel à contributions pour les Cahiers George Sand, n° 41, 2019

Dossier « George Sand et la pensée du mal »,

coordonné par Damien Zanone

 

Dans un passage d'Histoire de ma vie donné comme une « manière de préface à une nouvelle phase de [son] récit » (au début du chapitre 13 de la partie IV, quand Sand aborde l’évocation de sa vie parisienne et bientôt littéraire), l’autobiographe explique sa décision de parler « peu ou point » des personnes avec qui elle a eu des relations houleuses ou avec qui elle s’est brouillée. Et elle déclare :

"j’ai vu la perversité naître et grandir d’heure en heure ; je la connais, je l’ai observée, et je ne l’ai même pas prise pour type, en général, dans mes romans. On a critiqué en moi cette bénignité d’imagination. Si c’est une infirmité du cerveau, on peut bien croire qu’elle est dans mon cœur aussi et que je ne sais pas vouloir constater le laid dans la vie réelle. Voilà pourquoi je ne le montrerai pas dans une histoire véritable[1]."

Comme souvent pour explorer des problèmes moraux, Sand avance ici ses idées à travers des formulations presque casuistiques, au risque de se faire peu limpide : a-t-elle vu et connu la perversité ou est-elle incapable de la constater ? Ou bien encore l’a-t-elle observée sans vouloir l’enregistrer dans ses écrits, par refus de la mettre en valeur ? Les parts respectives de l’incapacité et du refus sont difficiles à démêler et Sand ne s’oppose guère au grief qui lui aurait été fait de « bénignité d'imagination ». Comment recevoir cette incertitude ? Quel crédit faire à une littérature profondément animée de l'enjeu moral et qui ignorerait le mal ? Y a-t-il une pensée du mal chez Sand ? Le soupçon peut exister que non, qu’une telle pensée fait défaut à celle qui termine tant de romans par des pages de réconciliation et qui, volontiers dès qu’elle évoque la question, préfère dire qu’elle l’a esquivée. Ainsi fait-elle à propos du théâtre, dans la préface de Maître Favilla (en 1855, la même année qu’Histoire de ma vie) :

"Oui, certainement, le mal est un fruit très amer que l’on ne cueille pas sans beaucoup de peine : aussi faut-il beaucoup de science pour l’expliquer et beaucoup d’art pour le peindre. J’avoue que cet art me manque et que ma paresse ne le cherche pas beaucoup[2]."

On entendra dans le même sens l’insistance que Sand met à dire, à propos de ses romans, qu’elle y peint le monde tel qu’il devrait être plutôt que tel qu’il est (elle le répète dans la préface du Compagnon du Tour de France et dans Histoire de ma vie[3], deux textes à peu près contemporains). Dès l’époque de ses premiers romans, elle écrivait pour les gloser, dans un article de la Revue des Deux Mondes en 1834 : « l’auteur s’est depuis longtemps résolu à ne jamais peindre que les spectacles qui ont éveillé ses sympathies[4]. »

Celle qui dit le rôle marquant de la lecture de Leibniz dans sa formation intellectuelle, et de La Théodicée particulièrement (dans Histoire de ma vie, IV, 4), serait-elle devenue un nouveau Pangloss ? Sa sympathie pour les jésuites (ibid.) est-elle un frein qui, à force de l’engager à nuancer, la retient d’envisager des figures de méchants ? Est-ce parce qu’elle ne voit personne à y mettre qu’elle refuse l’Enfer, reprochant à l’Église catholique le dogme qui « nous commande de croire à l’existence du diable et aux peines éternelles de l’enfer » (affirmation de la préface à Mademoiselle La Quintinie[5] qui ulcéra Baudelaire[6]) ?

La possibilité même de traiter du mal dans le cadre de la fiction, telle que Sand conçoit celle-ci, demande à être examinée : certes, les personnages nocifs sont nombreux dans les romans de Sand, et cela dès les premiers d’entre eux (Raymon de Ramière dans Indiana, la mère et le mari de l’héroïne dans Valentine), mais ne font pas souvent l’objet d’une caractérisation poussée. Les méchants montrés par Sand ne sont-ils que des créatures de mélodrame, conventionnelles dans leur malfaisance, ou sont-ils plus originaux et disent-ils plus ? Que dire, par exemple – pour rappeler quelques exemples de personnages marquants, même si secondaires – de l’« affreux Mayer » de Consuelo (recruteur pour les armées puis directeur de prison), des seigneurs usurpateurs du Piccinino ou de L’Homme de neige ; de d’Alvimar, l’hidalgo au « cœur enfiélé » qui tourmente l’arcadie que serait sans lui Les Beaux Messieurs de Bois-Doré. Ces apparitions sont éclatantes ; pour autant, les romans et les pièces semblent généralement traiter le mal comme un faire valoir du bien, dans le cadre d’affrontements dont l’issue est tracée d’avance puisque les fictions de Sand se vouent à établir et à conforter des valeurs, plutôt qu’à les inquiéter. Mais est-ce aussi simple que cela ?

Et qu’en est-il en dehors des fictions ? « J’ai vu la perversité », nous dit George Sand. Ses écrits sur elle-même, sur ses proches ou sur la marche du monde, qu’ils soient publiés ou adressés à ses amis, en portent-ils témoignage ou cèdent-ils, eux aussi, à la poétique de la théodicée ? En ce dernier cas, si Sand est à ce point « bonne dame », peut-on penser ce rôle –supposément le sien dans les années du Second Empire à Nohant– comme un remède contre le mal trop pressant ? La part d’ombre que peut porter la littérature de George Sand pourra être, à cet égard, approchée à nouveaux frais, dans une perspective différente de celle déjà explorée dans un récent dossier des Cahiers George Sand (sur « la violence de l’Histoire », coordonné par Catherine Mariette dans le n° 37, en 2015).

 Les articles réunis dans le dossier « la pensée du mal », du n° 41 des Cahiers George Sand (à paraître en 2019), pourront s’emparer de ces questions en interrogeant le discours et les représentations du mal chez Sand dans les différents aspects qu’ils ont pu prendre : dans les intrigues fictionnelles (romans, théâtre), le récit autobiographique, les lettres, les essais. On privilégiera les études proposant, à travers les exemples traités, une réflexion sur le sens absolu du terme (le mal dans une perspective morale, politique ou métaphysique).

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Les propositions d’article (d’une page maximum) sont à envoyer avant le 15 septembre 2018 à Damien Zanone (damien.zanone@uclouvain.be). Les réponses seront données dans les deux mois qui suivent et les articles (d’une longueur de 35000 signes au plus) devront être envoyés avant le 1er mars 2019. La publication est prévue en septembre 2019.

 

[1] G. Sand, Histoire de ma vie, Œuvres autobiographiques, éd. G. Lubin, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1970-1971, 2 vol., vol. II, p. 111-112.

[2] G. Sand, Théâtre, Paris, Indigo et Côté-femmes éditions, 1996-2007, 13 vol., vol. VI, p. 11 ; cité par Olivier Bara, Le Sanctuaire des illusions. George Sand et le théâtre, Paris, PUPS, 2010, p. 323.

[3] G. Sand, Le Compagnon du Tour de France, éd. J.-L. Cabanès, Paris, Le Livre de Poche, 2004, p. 36 ; Histoire de ma vie, op. cit., vol. II, p. 161.

[4] G. Sand, « À propos de Valentine et de Lélia », dans Préfaces de George Sand, éd. Anna Szabó, Debrecen, Studia Romanica de Debrecen, 1997, 2 vol., vol. I, p. 39-45, p. 44.

[5] G. Sand, Préface de Mademoiselle La Quintinie, Préfaces de George Sand, op. cit., vol. I, p. 262.

[6] Ch. Baudelaire, Mon cœur mis à nu, éd. André Guyaux, Paris, Gallimard, « Folio », 1986, p. 99-100.