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Nouvelle parution
Bien Dire et Bien Aprandre, revue de médiévistique, n° 33 :

Bien Dire et Bien Aprandre, revue de médiévistique, n° 33 : "Combattre (comme) au Moyen Âge"

Publié le par Université de Lausanne (Source : Anne Besson)

Combattre (comme) au Moyen Âge,

 

Bien Dire et Bien Aprandre, revue de médiévistique, n°33,

Centre d'études médiévales et dialectales, Université de Lille, 2018.

Sous la direction d'Anne Besson (Université d’Artois, « Textes et Cultures »)

et Emmanuelle Poulain-Gautret (Université de Lille, Alithila)

 

 

Si les historiens[1] ont beaucoup étudié les nombreuses batailles qui ont marqué la France au Moyen Âge, notamment par le biais des Chroniques (Grandes Chroniques de France, Chroniques de Villehardouin puis de Froissart, Croniques et conquestes de Charlemaine…), ils ont moins souvent eu l’occasion de confronter leurs approches à celles des littéraires – qui, quant à eux, s’intéressent majoritairement à l’idéologie et ne consacrent pas toujours de longs développements à l’aspect concret, proprement guerrier, des récits médiévaux ou d’inspiration médiévale. Le colloque organisé à Lille III les 26-27 janvier 2017, dans le cadre de l’équipe Alithila, avec la participation de l’équipe Textes et Cultures de l’Université d’Artois, de l’IRHIS et de l’association « Modernités Médiévales », a eu pour objectif d’associer ses différents aspects du combat, « poétisés » par l’écriture, mais aussi techniques et anthropologiques (comme a pu le faire John Keegan dans Anatomie de la bataille[2]). Les réflexions portant sur les activités de reconstitution de batailles ou de combats, l’histoire vivante, les affrontements dans le jeu Grandeur Nature ou encore le développement des Arts Martiaux Historiques Européens ont occupé une place importante dans les débats, et nous remercions à cette occasion l’association REGHT (« Recherche et Expérimentation du Geste Historique et Technique »[3]) qui nous a fait profiter de son expertise lors d’une belle démonstration de combat.

Ce numéro de Bien Dire et bien aprandre reprend les communications du colloque en les complétant de nombreuses contributions supplémentaires de manière à aborder de concert la façon dont sont traitées les batailles médiévales dans les textes historiques ou littéraires médiévaux, mais aussi légèrement ultérieurs ou plus récents, qu’ils soient issus du roman historique, du genre contemporain de la fantasy ou encore des médias audiovisuels.  Stratégies des armées et du combat proprement dit, armement et équipement, violence maîtrisée ou furor, figuration de l’adversaire, mais aussi représentation psychologique et physique du guerrier, héros glorieux et/ou corps blessé, y font l’objet d’une attention particulière.

Le plan du volume reflète ce programme : une première moitié en est davantage consacrée à la représentation (première partie, « Chanter la guerre au Moyen Âge ») et à l’expérience (deuxième partie, « Hommes de guerre ») médiévales de la bataille, d’Azincourt (article de François Lenhof) à Pavie (Nina Mueggler) en passant par Grunwald (Adrien Queret-Podesta) et les croisades (Geneviève Grossel, Olivier Wicky). Cet ensemble d’articles explore la manière dont s’écrivent et se vivent, indissociablement, les épisodes militaires qui rythment les sources littéraires et les chroniques historiques. Évolution et permanence du registre épique sont ainsi observées par Sandrine Legrand, Yamin Fekir et Adelaïde Lambert ; leur investissement par les chroniqueurs et mémorialistes peut être interrogé à partir des articles de Anh Thy Nguyen ou de Geneviève Grossel, et utilement comparé aux archives des sources comptables exploitées par Bernard Schnerb sur l’espace bourguignon ou au droit de la guerre médiévale qui fait l’objet des travaux de Jérôme Devard.

La seconde moitié du volume nous éclaire sur les manières dont les publics d’aujourd’hui s’emparent de cette matière médiévale, et sur le paradoxe apparent qui la voit si vivante alors que ce qu’elle décrit de la bataille et des corps guerriers peut sembler très éloigné de nos expériences contemporaines autrement plus confortables et protégées. Les activités de reconstitution s’efforcent de faire transition entre les époques, avec toutes les difficultés que cela implique dans la rigueur de leurs pratiques : dans la troisième partie, « Expérimenter les gestes et les règles »[4], Marie-Jane Pindivic et Cyril Dermineur nous présentent leur démarche d’interprétation des sources, tandis que Pierre-Henry Bas et Adeline Dumont leur font écho du côté de l’expérimentation. Les joueurs de jeu de rôle Grandeur Nature que nous fait découvrir Marianne Cailloux, quoiqu’infiniment plus libres dans leur rapport à l’histoire, retrouvent la contrainte sous la forme de l’instauration de règles qui ne sont pas sans rappeler celles des AMHE. Enfin, la quatrième partie, « Comme à la guerre », fait place aux représentations contemporaines de la guerre médiévale, avec ce que cela implique de préoccupations pédagogiques dans des corpus en partie adressés à la jeunesse, comme c’est le cas des romans de T.H. White (article de Justine Breton) et de Jacques Roubaud (Leticia Ding), mais aussi de partis pris esthétiques, dans les romans de George Martin (Tasnime Ayed) ou dans les scènes de bataille médiévale du cinéma hollywoodien et européen (Gaspard Delon). Le genre médiévaliste de la fantasy est bien sûr à l’honneur, et notamment le courant contemporain de la fantasy qui s’attache à reproduire les conditions médiévales de l’art de la guerre (Mary Gentle, Miles Cameron, George Martin, en France Justine Niogret…), dans les articles de Tasnime Ayed, Anne Besson et Emmanuelle Poulain-Gautret.

Malgré ces subdivisions du volume, ce sont sans doute les parallèles qui frappent encore davantage, par-delà les distances temporelles – quand un manuel du XVe siècle est adapté aux conditions pratiques de l’escrime contemporaine –, et les échos qui relient les représentations littéraires et historiques de la guerre aux deux extrémités de nos corpus, de l’épopée à la fantasy, « de Guillaume à Cendres » pour reprendre le titre d’Emmanuelle Poulain-Gautret, du combat singulier des chansons de geste (Yamen Feki) à ceux du Trône de fer (Tasnime Ayed). Les motifs épiques, les régularités génériques des médias contemporains et les régulations ludiques prennent alors tous leur sens, ceux d’invariants anthropologiques, témoins d’une expérience humaine individuelle et collective, partagée et pérenne.

 

[1] Voir bien sûr, entre autres, les travaux de Georges Duby, de Philippe Contamine ou de Jean Flori.

[2] Dans cet ouvrage (Paris, Laffont, 1993), l’historien traite trois batailles, Azincourt (1415), Waterloo (1815), La Somme (1916), en insistant sur l’expérience vécue par les troupes.

[3] Voir leur site www.reght.fr

[4] Notons que l’Université de Lille, autour de Bertrand Schnerb, a accueilli plusieurs manifestations d’historiens pionniers des méthodes de l’histoire vivante : Archéologie expérimentale et histoire de la guerre, un état des lieux, organisée par P.-H. BAS et B. Schnerb, Lille III, 3 décembre 2010. Les arts de guerre et de grâce (XIVe-XVIIIe siècle), De la codification du mouvement à sa restitution : hypothèse, expérimentations et limites, organisée par P.-H. Bas, D. Kiss-Mützenberg et D. Jaquet, Lille III, 21 et 22 mai 2012Les arts de Mars, théories et pratiques de l’Antiquité à la Renaissance : l’apport de l’expérimentation gestuelle, organisée par P.-H. Bas, C. Dermineur, G. Martinez et l’association REGHT, Lille III, 18 et 19 novembre 2014. Voir l’article de Pierre-Henry Bas pour une plus large mise en contexte de ces travaux.

 

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SOMMAIRE

Avant-propos
Chanter la guerre au Moyen Âge

Marie-Geneviève Grossel : Art de faire la guerre, art de chanter la guerre ? Le poème de Guillaume Anelier
Adelaïde Lamambert : Des vieux romans aux Amadis. Rhétorique de l’exploit guerrier dans le manuscrit Gerard du Frattre et l’imprimé Gerard d’Euphrate
Sandrine Legrand : Les guerriers troyens : entre idéal antique et exemple contemporain (Le Roman de Troie de Benoît de Sainte Maure, v. 9681-9726)
Jérôme Devard : La dynamique de la faide dans la Geste des Lorrains à l’épreuve du droit de la guerre médiévale
Yamen Feki : Le combat singulier dans quelques chansons de geste, un motif épique en mutation


Hommes de guerre
Bertrand Schnerb : « Je vous jure en mon âme que c’est un piteux fait ». Les risques du métier d’homme de guerre à la fin du Moyen Âge
Anh Thy Nguyen : La pratique de la guerre et la guerre en pratique chez Jean de Haynin. Le récit des expéditions de Charles le Téméraire au pays de Liège (1465-1468)
François Lenhof : « La souveraine chose du monde pour les batailles sont les archiers » : le rôle tactique des hommes de trait à travers les sources littéraires (v. 1415-v. 1453)
Adrien Quéret-Podesta : L’image de la guerre dans les Banderia Prutenorum de Jan Długosz
Olivier Wicky : « L’âme sombre et le corps en guenilles » : les batailles de la croisade albigeoise
Nina Mueggggler : Pavie imaginaire, Pavie chevaleresque : la défaite selon François Ier


Expérimenter les gestes et les règles
Marie-Jane Pindivic : Tenter de définir le safre dans l’armure du chevalier occidental au Moyen Âge
Pierre-Henry Bas : Introduction à l’expérimentation gestuelle du combat médiéval
Cyril Dermineur : Mettre en pratique l’escrime des glossateurs de Johannes Liechtenauer à l’aide de la Convention des Joueurs d’Épées
Adeline Dumont : Du cheval au destrier : dressage, matériel et utilisation en reconstitution militaire
Marianne Cailloux : Confrontations armées et affrontements combatifs en Jeu de Rôles Grandeur Nature : différentes approches de représentation et de régulation ludique


Comme à la guerre : représentations contemporaines
Justine Breton : « War and how to stop it » : l’ambivalence des combats dans The Once and Future King
Letitia Ding : Guerres et combats arthuriens pour la jeunesse dans le Roi Arthur de Jacques Roubaud
Tasnime Ayed : Esthétique du combat singulier dans Le Trône de Fer
Emmanuelle Poulain-Gautret : Ce qu’on dit et ce qu’on ne dit pas, de Guillaume à Cendres
Anne Besson : Fantasy et reconstitution
Gaspard Delon : Combattre comme au cinéma. La bataille médiévale entre innovations et routines professionnelles