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Des savants amateurs aux fans experts : contours et évolutions de l’érudition, entre populaire et académique (Lille)

Des savants amateurs aux fans experts : contours et évolutions de l’érudition, entre populaire et académique (Lille)

Publié le par Philippe Robichaud (Source : Anne Besson)

Des savants amateurs aux fans experts : contours et évolutions de l’érudition, entre populaire et académique

16- 17 novembre 2017, MESHS de Lille, colloque coordonné par Anne Besson et Anne-Gaëlle Weber (Université d’Artois)

Réponses attendues avant le 31 juillet 2017 (résumés de 1000 à 3000 signes, accompagnés d’une courte notice bio-bibliographique).

Le champ de l’expertise critique, entend-on souvent ces dernières années, serait en crise ; du moins subirait-il une profonde mutation, qui conduirait d’une traditionnelle verticalité (le savoir se diffusant de haut en bas, du « sachant » au néophyte) à une nouvelle horizontalité, celle des pairs connectés, des communautés d’amateurs partageant leur intelligence collective, celle des réseaux, sociaux bien sûr. La prégnance d’Internet dans nos vies culturelles est en effet bien identifiée comme la source principale de ce transfert d’influence décisif : des critiques érudits, savants professionnels, et seuls aptes à conférer la légitimité, vers un pouvoir aux consommateurs, lecteurs, joueurs, spectateurs - fans. Au passage, de nouveaux équilibres s’instaurent, donnant plus de visibilité aux productions qu’on qualifiera de « geek », culture populaire et médiatique, goût pour les séries, les genres de l’imaginaire et les œuvres « transgénérationnelles »[1].

Il s’agira durant ce colloque, qui s’inscrit dans le cadre du projet LegiPop (MESHS Lille-Nord de France : voir descriptif ci-dessous), d’interroger de tels constats, pour repenser les contours et évolutions de l’érudition qu’ils sous-entendent.

1. Contours : formes de l’érudition des amateurs

Quelle érudition ? au sujet de quels objets ? selon quels protocoles ? à destination de qui ?  On s’intéressera aux formes de savoirs produits par des « amateurs » (par ceux qui, au sens large, ne relèvent pas d’institutions académiques) autour de découvertes savantes ou de productions artistiques, y compris « populaires ». Et à la manière dont ces savoirs se distinguent ou non de la production académique, guettant éventuellement l’émergence d’un type d’érudition spécifique qui se distingue (ou non) de la vulgarisation et des formes académiques. Là sans doute pourront intervenir des analyses historiques des catégories d’amateurs, d’académiciens, de savants, de vulgarisateurs et, plus précisément, des études de la manière dont ils définissent chacun leurs écritures en fonction des publics visés ainsi que la visée de leurs travaux.

Il s’agira donc d’observer notamment comment des domaines traditionnellement mal-aimés du champ culturel (les romans populaires du XIXe siècle, les fascicules bon marché, les magazines pulp, les journaux de bandes dessinées, ou aujourd’hui les médias de flux tels que les soap opera, séries, jeux en ligne) peuvent entraîner l’usage, parmi les lecteurs et les amateurs, de formes ou de protocoles dignes d’une érudition savante.

Le colloque invite ainsi les chercheurs à se pencher sur les données encyclopédiques et les méthodes d’analyse qui ressortent des publications spécialisées contemporaines (par exemple : « Le Rocambole » pour la Société des Amis du Roman populaire, « L’Arc et le Heaume » pour l’association Tolkiendil), ou bien encore des Wikis et autres forums des communautés de public : qui les produit, pourquoi, comment, et surtout à quoi ressemble le résultat, à petite et grande échelle (quels sujets sont traités ou pas, quels protocoles de rédaction, de classement, de validation) ?

On y trouvera sans doute matière à nuancer quelques partis-pris attachés autant à la critique des amateurs (subjectivisme, expression de l’émotivité, point de vue « immergé »…) qu’aux oppositions entre savoirs académiques et savoirs populaires. Quelque part à mi-chemin, seront à prendre en compte les formes d’érudition ludique qui se manifestent dans « l’holmésologie », les « fantheories », la « critique policière » de Pierre Bayard[2] ou plus largement la critique transfictionnelle repérée par Saint-Gelais.  On pourra ainsi revenir sur les contours et la définition de la « critique », par-delà les différences entre critique savante, critique populaire, amateurisme, etc…

2. Évolutions : histoire de l’érudition des amateurs

La production d’un savoir érudit par des amateurs n’est pas nouvelle. D’abord conçue pour de petites communautés aux membres également investis, l’érudition spécialisée sur les objets populaires s’est transformée face à l’accès infiniment facilité aux moyens de la mener et de la diffuser via Internet : les passionnés de la première heure se retrouvent à « vulgariser » pour de nouveaux arrivants moins exigeants, et les « Wikipédiens », communauté au coût d’accès élevé en raison des compétences et protocoles complexes qui la régissent, ont symétriquement besoin de citations, et donc de publications universitaires, pour étayer chacune des affirmations de leurs articles.

On ne peut encore que noter l’explosion des contenus justifiant un tel déploiement d’érudition, et cela n’a sans doute rien d’une coïncidence. Le multivers connecté des superhéros de comics n’a jamais été si exploité, les mondes secondaires comme ceux de Tolkien ou à plus forte raison de Georges Martin (encore en cours de déploiement, certains de ses segments sont énigmatiques et aimantent donc l’activité herméneutique), les séries télévisées qui demandent à leur public un investissement majeur : tous ces produits font fonds sur une même expertise toujours plus raffinée chez leur public. Bouclant la boucle, la mise à disposition instantanée de masses de connaissance placées sur le même plan, potentiellement par chacun, pour chacun, conduit la communauté universitaire en sciences humaines à de profonds remaniements de ses pratiques et de ses hiérarchies. L’émergence des cultural studies, puis des fan studies et de la figure de l’« aca-fan » (posture de recherche visant l’hybridation entre « academic » et « fan ») constitue un des signes de cette évolution qui intéresse directement nos réflexions sur la construction de la légitimité culturelle : ces dernières, théorisées il y a plus de 15 ans par Henry Jenkins aux Etats-Unis, se sont plus récemment imposées en France, et il s’agira aussi de faire le point sur ces nouveaux usages.

Il s’agira de mettre en évidence la diversité des formes et des visées du savoir érudit contemporain, en tenant compte de l’évolution des outils de diffusion dont il dispose et de ses conséquences sur les notions d’auteurs, de critiques ou de lecteurs/spectateurs.

 

Bibliographie :

Azuma, Hiroki, Génération Otaku, les enfants de la postmodernité, 2001, trad. Corinne Quentin, Paris, Hachette Littératures coll. « Haute tension », 2008.

Bacon-Smith, Camille, Enterprising Women, Television Fandom and the Creation of Popular Myth, Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 1992.

Bayard, Pierre, Qui a tué Roger Ackroyd ?, Minuit, 1998 et « Reprise », 2002 ; Enquête sur Hamlet. Le Dialogue de sourds, Minuit, 2002 ; L'Affaire du chien des Baskerville, Minuit, 2008.

Bellavance Guy, Myrtille Valex, Michel Ratté, « Le goût des autres. Une analyse des répertoires culturels des nouvelles élites omnivores », Sociolie et sociétés n° 36.1, 2004, p. 27-59.

Berthou Benoît, « Fiction et forme encyclopédique : Wookieepedia, Dragon Ball Wiki et Cie », Strenæ [En ligne], n°2, 2011. URL : http://strenae.revues.org/420  

Besson, Anne, Constellations. Des mondes fictionnels dans l’imaginaire contemporain, Paris, CNRS Editions, 2015

Bourdaa Mélanie (dir.), « Les fans studies : enjeux et perspectives de la recherche sur les fans en France », Revue Française des sciences de l’information et de la communication n°7, 2015

Bréan Simon, « Les érudits de la science-fiction en France, une tradition critique endogène » et « L’érudition de science-fiction en France : repères bibliographiques », ReS Futurae [En ligne], n°1, 2012. URL : http://resf.revues.org/131 ; http://resf.revues.org/179 

Certeau Michel de, La Culture au pluriel, Paris, Union générale d’édition, 1974, rééd. Luce Giard, Paris, Seuil, 1993

Charpentier Isabelle (dir.), Comment sont reçues les œuvres. Actualités des recherches en sociologie de la réception et des publics, Paris, Créaphis, 2006

Falconer Rachel, The Crossover Novel. Contemporary Children’s Fiction and Its Adult Readership, New York, Routledge, 2008.

Fish, Stanley, Is There a Text in this Class? The Authority of Interpretative Communities, Harvard University Press, 1980 ; Quand lire, c’est faire, L’autorité des communautés interprétatives, éditions des Prairies ordinaires, 2007.

Flichy, Patrick, Le Sacre de l’amateur, Paris, Seuil, 2010.

Harris, Cheryl et Alexander, Alison (éd.), Theorizing Fandom. Fan, Subcultures and Identity, Cresskill, Hampton Press, 1998.

Jenkins, Henry, Textual Poachers. Television Fans and Participatory Culture, éd. augmentée, Londres, Routledge, 2013.

Jenkins, Henry, La culture de la convergence. Des médias au transmédia [2006], trad. de C. Jaquet, Armand Colin, 2013.

Langlet Irène, « Étudier la science-fiction en France aujourd’hui », ReS Futurae [En ligne], n°1, 2012. URL : http://resf.revues.org/181

Le Guern, Philippe (éd.), Les Cultures médiatiques. Culture fan et œuvres cultes, Rennes, PUR, 2002.

Macé, Éric, Les imaginaires médiatiques : une sociologie postcritique des médias, Paris, Amsterdam, 2006.

Migozzi, Jacques & Philippe Le Guern (dir.), Production(s) du populaire, Limoges, PU de Limoges, 2004.

Mittell, John, « Sites of participation: Wiki fandom and the case of Lostpedia », Transformative Works and Cultures, n°3, 2009. URL : http://dx.doi.org/10.3983/twc.2009.0118.

Pasquier, Dominique, Valérie Beaudoin et Tomas Legon, Moi je lui donne 5 sur 5 : paradoxes de la critique amateur en ligne, Paris, Presses des Mines, 2014

Peyron, David, La culture geek, avatar social de la convergence culturelle ?, thèse de doctorat, Lyon 3, décembre 2012.

RESET (« Recherches en sciences sociales sur Internet »), revue en ligne, « La critique culturelle : déclin ou hégémonie ? », n°5, 2016. URL : https://reset.revues.org/620 

Saemmer, Alexandra, « La littérature numérique entre légitimation et canonisation », Cultures & Musées, vol. 18, n° 1, 2011, p. 201-223.

Saint-Gelais, Richard, Fictions transfuges. La transfictionnalité et ses enjeux, Paris, Seuil « Poétique », 2011.

Shusterman, Richard, « Légitimer la légitimation de l’art populaire », Politix, vol. 6, n° 24, 1993, p. 153-167.

Weber, Anne-Gaëlle, Nicolas Wanlin, Evelyne Thoizet (dir.), Panthéons littéraires et savants (XIXe- XXe siècles), Arras, Artois Presses Universités, 2012.

Zékian, Stéphane, L’Invention des classiques, Paris, CNRS Editions, 2012.

 

Le projet de recherche LégiPop (MESHS Lille-Nord de France, coordonné par Anne Besson, Université d’Artois) entend interroger les conséquences très actuelles de l’hybridation (supposée ou non) des composantes de la « culture » sur la recherche et l’enseignement de la littérature et sur la définition de son objet. Il concentrera précisément son attention sur la manière dont les processus de « légitimation » de la « culture » et des « savoirs » ont pu changer et évoluer, voire s’opposer ou se confondre avec la « vulgarisation » savante. A partir d’exemples très contemporains, il s’agira de revenir sur l’évolution des définitions du « populaire » et du « légitime » induites par l’usage de nouveaux outils de diffusion, tels que les outils numériques. L’accès du plus grand nombre à un certain type de recherche universitaire ou encore à des procédés d’écriture ou de commentaires entraîne-t-il nécessairement, en retour, une redéfinition non seulement du savoir académique en littérature, mais aussi de ses objets et de ses catégories ? Pour mesurer ou cerner ces éventuels bouleversements, le détour vers l’histoire des processus croisés de légitimation et de vulgarisation semble particulièrement nécessaire.

Le projet se développera suivant trois grandes problématiques, découlant des articulations possibles entre les termes de « savoirs », « culture », « populaire » et « légitime », dont il s’agira à chaque fois d’interroger les sens.

- effets d’hybridation au sein des œuvres, en diachronie et en synchronie : l’histoire de la manière dont des œuvres dites « légitimes » empruntent aux cultures populaires et, vice versa, la manière dont des œuvres dites « populaires » empruntent aux savoirs et aux cultures légitimes.

- mouvements symétriques de légitimation et de diffusion populaire ou de vulgarisation : histoire des processus à l’œuvre dans la légitimation des savoirs populaires et symétriquement des pratiques lectoriales et de la critique érudite ; relations entre « érudition », « constitution des savoirs académiques » et « vulgarisation ».

- formes et pratiques des écritures critiques chez les amateurs et les savants, invitant les disciplines à une réflexivité sur leurs propres objets, la construction de leurs savoirs et les moyens de leur diffusion.

 

The Legipop research program intends to question the very current consequences of the hybridization (assumed or not) of the components of "culture" on the research and teaching of literature and on the definition of its object. It will focus precisely on how the processes of "legitimization" of "culture" and "knowledge" have changed and evolved, or even opposed or been confused with scholarly "vulgarization". Starting from very contemporary examples, we’ll use them to take a look backwards on the evolution of the definitions of "popular" and "legitimate" induced by the use of new digital tools of diffusion. Does the greater access of a wider audience to academic research, or to processes of writing or commentary implicate in turn a redefinition not only of academic knowledge in literature, but also of its objects and tools? To measure or identify these possible upheavals, the detour to the history of the crossed processes of legitimization and popularization seems particularly necessary.

The project will go through three main questions, which arise from the possible articulations between the terms "knowledge", "culture", "popular" and "legitimate", each of which will have to be interrogated:

- effects of hybridization within the fictions, in diachrony and in synchrony: the history of the way in which so-called "legitimate" works borrow from popular cultures and, vice versa, the way in which so-called "popular" works borrow from knowledge and legitimate cultural fields.

- symmetrical movements of legitimation and popular diffusion or popularization: history of the ways popular knowledge legitimizes itself or, symmetrically, of reading practices and scholarly criticism; relations between "scholarship", "constitution of academic knowledge" and "popularization".

- forms and practices of critical writing for amateurs and scholars, inviting the disciplines to reflect on their own objects, the construction of their knowledge and the possible ways of their diffusion.

https://legipop.hypotheses.org/

 

[1] Sur de telles évolutions, voir en bibliographie quelques références – mais elles sont nombreuses.

[2] Voir le symposium qui lui a récemment été consacré à l’Université du Maine par Caroline Julliot (Le Mans, 30-31 mai).