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Disparaître (revue Tête-à-tête)

Disparaître (revue Tête-à-tête)

Publié le par Alexandre Gefen (Source : Revue Tête-à-tête)

APPEL À CONTRIBUTIONS

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DISPARAÎTRE

N° 08 (automne 2017)

Peut-on échapper aux régimes de visibilité de nos sociétés contemporaines ? S’afficher, être présent partout, exister sur les réseaux, laisser des traces de soi urbi et orbi, est-ce l’unique mode d’existence offert par une société ultra-médiatisée qui semble imposer pour seule eucharistie un « j’apparais donc je suis » ? Face à cette condition existentielle qui semble sans alternative, peut-on encore s’abstraire du régime du visible, ou y soustraire des objets du monde ? Ce nouveau numéro de la revue Tête-à-tête vise à questionner les enjeux de pratiques, de modes opératoires, de postures, de pensées qui mettent en question le règne sans partage d’une économie de l’image aussi démocratique qu’hégémonique.

Être ou disparaître, telle n’est pas la question. Car la disparition, le vœu d’invisibilité, d’effacement, d’immatérialité apparaissent clairement comme des stratégies revendiquées d’être au monde. Dès 1971, pour son travail de fin d’études, Chris Burden s’enfermait dans une consigne de vestiaire de 61 cm de haut pendant cinq jours. Le 19 novembre de la même année, il demande à l’un de ses amis de lui tirer dans le bras avec une balle de 22 long rifle, dans ce qui est devenu sa performance la plus célèbre, Shoot. Enfin, il réalise la même année une pièce intitulée Disappearing, dont il ne reste que ce texte : « J’ai disparu de la circulation pendant trois jours sans avoir laissé d’indication à quiconque. Pendant cette période, il a été impossible de me localiser. » Burden suggérait donc, il y a plus de quarante-cinq ans déjà, que se soustraire, c’est imposer un angle mort au règne dominant de la visibilité : philosophie de la soustraction dans un monde où tout s’accumule et s’additionne.

Ainsi, dans les romans de Patrick Modiano, on croise fréquemment des personnages absorbés par les zones d’ombre d’un passé perdu, lancés dans des enquêtes qui ne visent pas tant à retrouver un coupable qu’à tenter de saisir les raisons d’une disparition, comme Ambrose Guise qui, dans Quartier perdu, profite d’un voyage à Paris pour élucider les mystères de ce temps où il était français et s'appelait Jean Dekker, juste avant de disparaître. Se soustraire, c’est ce que fait un homme dans Sous le sable de François Ozon. Le couple étend sa serviette sur la plage. Elle prend un bain de soleil, lui va se baigner, et puis plus rien. Fuite ou noyade ? Il faudra vivre avec les questions ouvertes par le vide. L’héroïne n’aura alors de cesse de croiser le fantôme de son mari dans cet interminable deuil qui ne peut se faire, faute de corps, faute de traces. Le vivant vient ainsi hanter le monde sous une autre forme, désincarnée, comme dans le roman de Marie n’Diaye, Un temps de saison, où la femme et le fils du professeur Herman, soudainement disparus, sont voués à errer fantomatiquement dans la petite ville où ils passaient leurs vacances, pour avoir voulu s’y attarder « hors saison » : une faute sociale qui les condamne à devenir des ombres, dans un monde où l’apparence est codifiée à l’extrême. Pour certains, la disparition n’est pas seulement une idée, c’est un acte : ainsi, Étienne Boulanger répertoriait les brèches et anfractuosités de la ville de Berlin pour y construire des abris précaires dans lesquels il vivait de façon clandestine en s’effaçant littéralement du monde, quand Estefanía Peñafiel Loiza, elle, gomme inlassablement des images de presse et recueille dans des petites fioles les restes emportés par ce geste. Faire disparaître n’est pas qu’un tour de magie, c’est l’affirmation qu’il reste des espaces dans les plis du visible, des zones blanches comme celles que traque Philippe Vasset dans ces lieux non répertoriés par la cartographie officielle où s’ouvre un autre monde, parfois une ville inversée peuplée de personnages d’ordinaire invisibles. Et si la disparition œuvrait également dans les plis du temps ? C’est le nom d’un musicien culte disparu mystérieusement en 1975 dans le désert de Californie, et dont certains aiment à croire qu’il a été enlevé par des extraterrestres, qui donne son titre au dernier roman de Tanguy Viel, La Disparition de Jim Sullivan. Le disparu possède pour le héros un charme fascinant, et quand l’existence de celui-ci vacille, qu’elle se réduit peu à peu à une vision obsédante, Jim Sullivan apparaît comme la dernière issue : il incarne le rêve d’un ravissement, d’une fuite dans une autre dimension où vivre serait de nouveau possible.

À l’hypervisibilité des événements du quotidien, mais aussi à l’exposition de nos vies intimes sur tous supports, médias et réseaux sociaux, répond donc aujourd’hui une multitude de démarches visant à la dématérialisation et à l’effacement des images, des objets et de soi. Cette tentation de la disparition est patente dans nombre d’œuvres dans lesquelles le héros, la trame, l’objet ou la figure, un jour, décident de se soustraire au regard, exprimant ainsi la tension d’un paradoxe : montrer la disparition, dire haut et fort qu’il n’y a rien à voir ou alors si peu…

Dès lors, pas de pure dialectique : l’acte de disparaître n’implique pas nécessairement l’espoir du réapparaître, mais plutôt l’affirmation d’un exister ailleurs et autrement. Aussi, quel sens donner à ces figures du renoncement, à ce que David Le Breton nomme cette « passion d’absence », si ce n’est celui de vouloir penser, créer et vivre en dehors des sentiers battus, des lits qu’on a faits pour l’art, de l’immédiateté des réseaux et des politiques auxquelles plus personne ne croit ? Et c’est ici peut-être que naît l’idée, féconde, que ce vide servirait à mettre en relief le fonctionnement des dispositifs auxquels on n’adhère pas, des structures politiques que l’on ne veut plus et dont les images récurrentes, à l’exemple de la dernière campagne présidentielle américaine, viennent nous gaver ad nauseam. Il s’agirait alors de ne plus réfléchir aux images en termes de présence de l’absent, mais d’interroger, loin des régimes de visibilité effrénés, ce que l’on pourrait appeler une « pensée du hors-champ ».

Préférer ne pas, certes, mais au profit de quel geste et de quelle posture ? Tels sont les enjeux et questionnements que cette nouvelle livraison de la revue Tête-à-tête tentera de cerner.

 

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Les projets seront rédigés selon les modalités suivantes :

a) Une proposition d’entretien argumentée, en relation directe avec le thème du numéro, ne dépassant pas 3000 signes ;

b) Une ébauche de questionnaire comportant une dizaine de questions donnant les principales orientations de l’entretien ;

c) Deux courtes bio-bibliographies (vous et la personne avec laquelle vous voulez faire l’entretien).

 

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Les projets sont à envoyer par mail à l’adresse suivante : revuetat@gmail.com

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Date limite de réception du projet : 6 février 2017

Date limite de réception de l’entretien définitif après acceptation du projet : 29 mai 2017