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Cahiers Robinson, "Figures de justiciers, du réalisme au surnaturel"

Publié le par Université de Lausanne (Source : Isabelle Rachel CASTA)

Cahiers Robinson, "Figures de justiciers, du réalisme au surnaturel"

 

Présentation

« C'est vraiment trop inzuste !» (Calimero, 1963)

Le constat d'une inadéquation entre ce qui serait « juste » et ce qui est – littéralement – s'adosse à une vision sinon transcendante du moins essentialisée de l'équité et du droit ; car c'est dans ce « bâillement », ce non-recouvrement de la justice telle qu'elle s'exerce empiriquement (socialement, politiquement, institutionnellement) et ce qu'on imagine qu'elle devrait être... que va surgir le « go-between », le Justicier, celui qui vient réparer la faille, le manque, l'écart en un mot ; il s'agit pour ce personnage « hors-système » de faire enfin se recouvrir exactement (même si brièvement) la pratique et le sentiment de la justice, éprouvé par les citoyens ou  sujets, qui font l'expérience de ce dissensus. Ni le droit, ni la loi ne disent exactement ce qu'est le « juste » ; souligner que des sociétés où règnent l'arbitraire, la violence, l'iniquité érigés en système (féodalité brutale, fascismes divers, dictatures, tyrannies) aient prioritairement suscité des vocations et des récits actés de justiciers et de justicières... relève presque de l'évidence ; mais les références sont bien sûr historiquement évolutives, et la justice selon Salomon n'est sans doute pas la justice selon Louis IX – non plus que selon Joe Goldberg, le libraire psychopathe de la série You1.

C'est pourquoi, aux figures populaires encore « réalistes » du Bossu (Paul Féval) ou de Mathias Sandorf (Jules Verne), en passant par Edmond Dantès qui revient en vengeur et non en justicier, vont succéder des constructions préternaturelles, super-héros américains voltigeant dans l'espace pour faire pièce aux méchants d'anthologie ; le trajet des unes aux autres pourra être examiné et commenté.

Ce qui demeure toutefois pérenne, c'est le ressenti amer de l'Injustice.

Elle peut être la conséquence d'une vacance temporaire du « bon » pouvoir, et le « blanc » dans la chaîne de la légitimité se trouve rempli par un mauvais prince... Robin des Bois, noble par ailleurs, entre dans la clandestinité pour préparer le retour de Richard Coeur-de-Lion, et protéger ou venger les sujets spoliés par le « méchant » Prince Jean (comme Ivanhoé) ; il ne fait au fond que « tenir la boutique » du Bien, en réparant au coup par coup les félonies et les brutalités de l'usurpateur ; même schéma pour Zorro2 : dans la Californie espagnole du XIXe siècle, un jeune dandy nonchalant se mue en insaisissable outlaw, pour réparer les torts et les cruautés des puissants corrompus.

Ce qui amène d'ailleurs un sous-thème essentiel : la double personnalité, souvent liée à l'inversion diurne/nocturne ; timide journaliste le jour, invincible héros la nuit (Superman) ; technicien de laboratoire médico-légal le jour, bourreau impitoyable la nuit (Dexter) ; et pour le déjà nommé Zorro, esthète dilettante sous les traits de Don Diego de la Vega le jour, redoutable escrimeur et cavalier la nuit... Le masque contribue à procurer une double identité, qui camoufle aux yeux des classes dominantes (spoliatrices) le nom du raccommodeur de destinées, pour parler comme Francis Lacassin 3.

Il n'est dès lors pas surprenant que la littérature de jeunesse soit innervée par ce thème : l'enfant se sent toujours un peu la victime de la mini-société familiale, qu'il va ressentir comme du despotisme puisqu'il lui faut obéir, rendre des comptes, aller à l'école, voir son avis ou ses envies systématiquement minorés. Impuissant à imposer ses vues, il construit un rempart imaginaire, un peu à la façon de Jean-Paul « Poulou » Sartre imitant Pardaillan dans le salon des grands-parents4 – même si pour le coup c'est plutôt pour se venger de l'ostracisme dont les autres enfants font preuve à son égard.

C'est pourquoi il nous semble important de reprendre les paroles de Paul Ricoeur, rapportées et commentées par Véronique Guienne, comme viatique à l'orée de cette réflexion sur les circuits imageants des figures de justiciers/justicières, du réalisme au surnaturel : « Partir de l’injustice est ce que Paul Ricœur identifie comme le fondement de la réflexion sur la justice. Il commence ainsi son ouvrage, Le juste, en relatant des souvenirs d’enfance, qu’il commente de la manière suivante : “C’est à dessein qu’évoquant des souvenirs d’enfance je nomme l’injuste et non le juste... Notre première entrée dans la région du droit n’a-t-elle pas été marquée par le cri : c’est injuste ! Ce cri est celui de l’indignation, dont la perspicacité est parfois confondante, mesurée à l’aune des hésitations d’adultes sommés de se prononcer sur le juste en termes positifs” 5».

On pourra alors travailler sur l'un des aspects évoqués ci-dessous, sans forcément s'en contenter – tant les champs d'implication sont vastes, en termes de littérature, de films, de BD ou de séries ; la problématique genrée est à considérer également, mais Fantômette est quand même présente depuis 1961, ce qui tendrait à prouver que la justice réparatrice a été tôt perçue comme potentiellement mixte.

 

Pistes à suivre :

  • Conditions socio-politiques de la configuration des justicier·ère·s

  • Evénements et avènement de la « justice » des justicier·ère·s ;

  • Justicier·ère·s ou résistant·e·s ?

  • Faire justice et rendre la justice ;

  • Vengeur·e·s et justicier·ère·s, même combat ?

  • Une imagerie kitsch, pour blockbusters musclés, ou un besoin de réparation ?

  • Les deux visages du/de la justicier·ère : pourquoi ?


 

Merci d’envoyer un titre et quelques lignes pour le 30 novembre 2019 à zacasta@wanadoo.fr 

Réponse début janvier 2020 ; articles complets souhaités pour 30 septembre 2020, afin de les remettre dans leur version définitive aux APU en janvier 2021.

Corpus Critique succinct


 

Barry Edward, Thèse de littérature sur les vicissitudes et les transformations du cycle populaire de Robin Hood, Paris, Imprimerie et fonderie de Rignoux, 1832
URL : https://reader.digitale-sammlungen.de/resolve/display/bsb10744791.html

Gauthier Pierre-Louis, « Les sentiments de justice à et sur l’école », Duru-Bellat Marie, Meuret Denis (dir.) », Revue internationale d’éducation de Sèvres [En ligne], 52 | décembre 2009, mis en ligne le 01 juillet 2011, consulté le 08 février 2018.
URL : http://journals.openedition.org/ries/799

Granier Caroline, « L’ère du roman policière », Libération, 29 août 2018
URL : https://www.liberation.fr/debats/2018/08/29/l-ere-du-roman-policiere_1675298

Guienne Véronique, « Du sentiment d'injustice à la justice sociale », Cahiers internationaux de sociologie, 2001/1 (n° 110), p. 131-142. DOI : 10.3917/cis.110.0131.
URL : https://www.cairn.info/revue-cahiers-internationaux-de-sociologie-2001-1-page-131.htm

Hache-Bissette Françoise, « Le journaliste dans les romans pour la jeunesse : aventurier, détective ou justicier ? », Le Temps des médias, 2009/2 (n° 13), p. 185-199. DOI : 10.3917/tdm.013.0185.
URL : https://www.cairn.info/revue-le-temps-des-medias-2009-2-page-185.htm

Hannedouche Cédric, « Les visages du justicier : absorption et intégration dans une suite de productions culturelles majeures des années 1920-1930 », Chemins de traverse en fiction, La Taupe médite, 2018.

Lacassin Francis, Mythologie du roman policier, t. 1 et 2, UGE, « 10/18 », 1987.

Leroy Christine, « Justicière masquée : un modèle d’émancipation féminine ? L’exemple de Fantômette », Belphégor [En ligne], 11-1 | 2013, mis en ligne le 01 mai 2013, consulté le 03 février 2019. DOI : 10.4000/belphegor.96
URL : http://journals.openedition.org/belphegor/96 ;

Piaget Jean, « La règle morale chez l'enfant », conférence, 1928
URL : http://pst.chez-alice.fr/svtiufm/educmora.htm#dresponsabilitejustice

Ricœur Paul, Le Juste I et II, Éditions Esprit, 1995 et 2001.

Vareille Jean-Claude, L'Homme masqué le justicier et le détective, Presses universitaires de Lyon, 1989.


 

Corpus fictionnel de départ

Dumas Alexandre, Le Comte de Monte-Cristo,1844-1846.

Verne Jules, Mathias Sandorf, 1885.

Le Roy Eugène, Jacquou le Croquant,1899.

McCulley Johnston, Zorro, depuis 1919.

Chaulet Georges, Fantômette, Hachette, Bibliothèque rose, 52 t., 1961-2011.

Grisham John, Theodore Boone - Enfant et justicier, XO Jeunesse, 2010 puis 2012.


 

Dans les comics, la BD et les adaptations


 

Falk Lee, Le Fantôme/ Fantôme/ Le Fantôme du Bengale, 1936-2006.

Siegel Jerry et Shuster Joe, Superman, depuis 1938.

Finger Bill et Kane Bob, Batman, depuis 1939 [surnom en français : le justicier masqué].

Martina Guido et Carpi Giovan Battista, Fantomiald (ou paperinik), 1969, https://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb43813818g.

Cézard Jean, Arthur le justicier fantôme, 1953-1977.

Dini Paul et Timm Bruce, La Ligue des justiciers6, adaptée du comics La Ligue de justice d'Amérique (Justice League of America), DC Comics, 2001-2006 sur Cartoon Network (Première apparition : 1960).

Charlier Jean-Michel et Giraud Jean, Blueberry, depuis 1963.

Lehmann Serge et Créty Stéphane, Masqué, 4 t., 2012-2013.

Larson Nicky, Le Justicier se déchaine, SFC, 1991.

Latulippe Martine, Loubier Lorian, grand justicier, illustrateur Saint-Aubin Bruno, éditions Dominique et compagnie, 2003.

Lyfoung Patricia, La Rose écarlate, depuis 2005.

Stewart Amy, La Justicière et les filles perdues, 10/18, 2018.

Mais aussi Flashman (George Mc Donald Fraser, 1970-2005), Kung Fu Panda : l’incroyable légende (Peter Hasting, 2011-2016), etc.


 

1 You, ou Parfaite au Québec, est une série télévisée américaine développée par Greg Berlanti et Sera Gamble, diffusée depuis le 9 septembre 2018 sur la chaîne Lifetime pour la première saison puis sur le service Netflix à partir de la deuxième. Elle raconte l'histoire d'un libraire torturé par la passion folle qu'il voue à une jeune cliente, passion qui l'amène à anéantir tous les obstacles, mais en suivant un certain « code », comme Dexter.

2 Pour inventer Zorro, l'auteur Johnston McCulley (1919) se serait inspiré de trois personnages : le Mouron rouge, personnage de justicier anglais sous la Révolution française, créé par la baronne Emma Orczy en 1903, Joaquin Murietta (1829–1853), un homme semi-légendaire de Californie qui luttait contre les abus et vols perpétrés par les Anglo-Américains sur les mineurs d'origine latino-américaine pendant la ruée vers l'or, et dont la vie avait fait l'objet d'un roman en 1854 écrit par John Rollin Ridge (1827–1867), ou encore William Lamport (1611–1659), un contrebandier irlandais qui marquait ses victimes d'un Z.

3 Francis Lacassin, Mythologie du roman policier, tome2, UGE, 10/18, 1987, p. 23.

4 « Pardaillan, c'était mon maître : cent fois, pour l'imiter, […] j'ai giflé Henri III et Louis XIII », Jean-Paul Sartre, Les Mots, Folio, 2006, p. 110.

5 Guienne Véronique, « Du sentiment d'injustice à la justice sociale », Cahiers internationaux de sociologie, 2001/1, n° 110, p. 131-142. DOI : 10.3917/cis.110.0131. URL : https://www.cairn.info/revue-cahiers-internationaux-de-sociologie-2001-1-page-131.htm.

6 La Ligue des Justiciers est une équipe de super-héros chez DC Comics combattant le crime ; lorsqu'elle est créée en 1960, elle était composée de Superman, Batman, Wonder Woman, Flash, Green Lantern et Hawgirl. Par la suite, de nombreux autres super-héros les ont rejoints : Aquaman, Captain Marvel, Supergirl, Green Harrow... Leurs aventures ont été adaptées en série télévisée et en film sur grand écran, sous la direction de Zack Snyder (Justice League, film, 2017 © DC Comics); les jeunes amateurs peuvent par exemple consulter http://www.momes.net/Diaporamas/Les-super-heros-de-Marvel-et-DC-Comics/La-Ligue-des-Justiciers.