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Fixxion n° 20 :

Fixxion n° 20 : "Radicalités : contestations et expérimentations littéraires"

Publié le par Université de Lausanne (Source : Sara Buekens)

Fixxion n° 20 : 

"Radicalités : contestations et expérimentations littéraires"

 coordonné par Jean-Pierre Bertrand, Frédéric Claisse et Justine Huppe

 

Depuis les années 2000, l’historiographie littéraire s’accorde pour inscrire la production contemporaine sous le signe d’un retour au sujet, au monde, à la narration. Trouvant désormais sa justification ailleurs qu’en elle-même, la littérature a progressivement renoué avec une certaine idée de son utilité sociale et morale. La capacité de la littérature à ouvrir des espaces de médiation et de partage serait devenue l’un des fers de lance de la défense de l’institution littéraire, tandis que de nombreux écrivains contemporains s’attacheraient apparemment davantage à la médiation qu’à la disruption, à la réparation qu’à la dénonciation, au soin qu’à l’émancipation (Gefen, 2017). Intégrés à ce tournant “esthético-éthique”, les textes les plus soucieux de parler du monde social et des inégalités qui le structurent le feraient d’une manière qui vise avant tout à pallier un défaut de reconnaissance et de visibilité (Macé, 2016).

C’est à un tout autre pan, minoritaire mais dynamique, de la production littéraire contemporaine que s’intéressera cette livraison de Fixxion, consacrée aux radicalités. À l’opposé du rôle palliatif d’administration du litige auquel se vouerait une partie significative de la littérature contemporaine, une autre littérature est en effet restée attachée aux situations de différend (pour reprendre la distinction de Jean-François Lyotard), c’est-à-dire aux cas où l’injustice, non reconnue car indicible dans le langage des normes, se mue en tort. La formule de Lyotard – “c’est l’enjeu d’une littérature, d’une philosophie, peut-être d’une politique, de témoigner des différends en leur trouvant des idiomes” (Lyotard, 1983 : 30) – décrit bien la double caractéristique des dispositifs littéraires que nous entendons désigner et éclairer par le qualificatif radical : des textes contestataires et expérimentaux, à la fois attachés à la valeur agonistique de la littérature et soucieux de lui trouver des formes efficaces.

La radicalité ici visée concerne donc les formes d’expression d’une contestation intransigeante de l’ordre politique et social, ravivant parfois un imaginaire insurrectionnel ou une fascination pour la violence politique, qui se traduit par la récurrence de métaphores guerrières : appel au “réarmement” de la littérature (cf. recueil collectif “Toi aussi tu as des armes”, La Fabrique, 2011), désignation d’un “ennemi” (“La littérature occupée”, dossier de la revue TINA, 2008), légitimation du recours à la violence dans le cadre de certaines militances (La Guérilla des animaux, C. Brunel) quand il ne s’agit pas d’un intérêt pour le terrorisme pour ce qu’il permet de dire de notre environnement médiatique, économique et social (Zones de combat, H. Jallon ; trilogie In situShot et Direct de P. Bouvet ; Monologues du nous de B. Noël).

Si le néolibéralisme et le capitalisme avancé constituent des cibles privilégiés du radicalisme littéraire contemporain, leur critique s’articule aussi à la dénonciation de formes de domination (spécisme, patriarcat, colonialisme), dont la prise en charge littéraire rencontre l’engagement d’écrivains pour ces causes (V. Message, C. Delaume, J. Andras). Porteurs d’une contestation des ordres établis dans le monde social comme dans celui de l’art (catégories génériques, narrations linéaires, formats attendus), les dispositifs visés sont cependant loin de se réduire à de simples véhicules d’une information. Il s’agira donc avec ce numéro d’interroger les interactions entre les inventivités formelle et politique qui animent certains textes contemporains. Usages de la vidéo chez Noémi Lefebvre, enquête et statistiques détournées par Christophe Hanna, polyphonies et hétéronymies dans le post-exotisme d’Antoine Volodine : les formes et procédés des dispositifs étudiés le seront comme de véritables médiateurs (Quintyn, 2017 : 58). Dans cette perspective, le dossier s’ouvrira également à l’analyse d’œuvres qualifiées par Yves Citton de “médiartivistes” : à savoir des pratiques artistiques qui se conçoivent comme des médias, s’inscrivent dans une visée de transformation radicale du monde et essaient de faire converger intervention politique et artistique (voir aussi Autonome a.f.r.i.k.a.-gruppe et al., 2011), dans une dynamique qu’on pourrait qualifier de “contre-fictionnelle” (revue Multitudes, 2012).

La vingtième livraison de la revue en ligne Fixxion propose d’étudier plus en détail le fonctionnement de tels textes, en interrogeant leurs ambitions formelles et politiques, suivant trois axes :

1) Mettre en évidence les continuités et les ruptures dont témoignent les auteurs contemporains à l’égard des radicalités passées, à l’aune d’une historiographie qui tend à faire du contemporain une période précisément marquée par la fin des avant-gardes historiques. Comment les auteurs contemporains se situent-ils par rapport aux radicalités antérieures dont ils reprennent les procédés et les propositions critiques ? Quelles relations, par exemple, entretiennent les héritiers du cut-up à l’imaginaire burroughsien d’un langage viral, et quel rôle les intercesseurs historiques de ces techniques pour le domaine français (C. Pélieu, C. Prigent, L. Suel) continuent-ils à jouer pour leurs praticiens actuels ? Dans le même ordre d’idées, quel fil relie encore les situationnistes à ceux qui se sont réapproprié leurs pratiques emblématiques, comme la dérive (Ph. Vasset, B. Bégout, à la suite de I. Sinclair dans le domaine anglo-saxon) ou le “grand style insurrectionnel” (à la manière du Parti imaginaire [revue Tiqqun] et du Comité invisible) ? Le même raisonnement vaut pour les écrivains qui s’inscrivent, avec une grande vitalité, dans le sillage de la poésie expérimentale sous ses multiples avatars (poésie sonore, poésie concrète, performance, avec, parmi tant d’autres, des auteurs comme A-J. Chaton, C. Pennequin ou V. Tholomé et des maisons comme Al Dante et Léo Scheer).

2) S’interroger sur la valeur d’usage reconnue implicitement à la littérature par ceux et celles qui la pratiquent et la commentent en assumant sa portée politique. Que nous disent d’une croyance (persistante ou renouvelée) dans la valeur opératoire du littéraire, les points d’intersection entre formes littéraires et formes d’expression politique, que ce soit à la faveur de publications arrimées à l’actualité des luttes (on pense, par exemple, aux écrivains ayant chroniqué le procès du Quai de Valmy pour lundi matin), ou plus largement dans l’espace offert à la vie littéraire par certaines revues et maisons (Vacarme, Multitudes, Lignes, La Fabrique) ? Alors qu’on vient de commémorer mai 68 sur un fond de renouveau de la contestation (Nuit Debout, ZAD, manifestations anti-Loi Travail), comment rendre compte de ce foisonnement d’œuvres qui associent étroitement critiques “sociale” et “artiste” (pour reprendre le vocabulaire de L. Boltanski et E. Chiapello), qu’il s’agisse d’investir l’espace public (Le Livre des places, après En procès, du collectif Inculte), de saisir les banlieues toujours au bord de l’émeute (Fabrication de la guerre civile, C. Robinson), ou de questionner l’avenir du travail (collectif “Au Bal des actifs – Demain le travail” orchestré par les éditions La Volte) ?

3) Prendre la mesure des propositions les plus radicales, y compris là où elles tendent à sortir du champ strictement littéraire (reconversions dans des formes génériquement indécises, modalités de littérature exposée, abandon même d’une croyance en la littérature), rappelant les pratiques de “sorties” décrites au sein du champ poétique par Jean-Marie Gleize (2009), de même que celles confinant à la “non-littérature”, récemment étudiées par la revue Itinéraires (“Littératures expérimentales”, 2017-3). Que nous enseignent la radicalité de Jean-Charles Massera, abandonnant le medium livresque, ou encore celle de Vanessa Place, optant pour une écriture “non créative”, dans un contexte de renouveau (mais aussi de crise) du conceptualisme (K. Goldsmith), à propos du lien ambigu entre radicalité et traits définitoires de l’art ? Au-delà de l’intermédialité, qu’arrive-t-il enfin à la radicalité littéraire quand elle s’hybride ou se connecte à d’autres supports, médias, formes d’art (notamment l’art contemporain, avec toute l’ambiguïté que comporte le fait d’institutionnaliser la transgression et la radicalité) et modes de connaissance (anthropologie fictionnalisée sous la plume d’Éric Chauvier, expérimentations historico-littéraires de Philippe Artières) ?

 

Échéance : 1er juin 2019. Envoyez votre proposition de contribution, portant sur les littératures française et francophones, en français ou en anglais (environ 300 mots), à fixxion21@gmail.com (un rédacteur vous inscrira comme auteur et vous enverra le gabarit MSWord de la revue).
Après notification de la validation, le texte de l’article définitif (saisi dans le gabarit Word et respectant les styles et consignes du Protocole rédactionnel) est à envoyer à fixxion21@gmail.com avant le 15 décembre 2019 pour évaluation par les pairs de laRevue critique de fixxion française contemporaine.
La revue accepte également des articles hors problématique du numéro.

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Références bibliographiques :

Autonome a.f.r.i.k.a.-gruppe, Luther Blissett et Sonja Brünzels (2011), Manuel de communication-guérilla, trad. de l’allemand et adapté par Olivier Cyran, La Découverte, Zones [1re éd. allemande 1997]

Jean-Christophe Bailly, Jean-Marie Gleize, Christophe Hanna, Hugues Jallon, Manuel Joseph, Jacques-Henri Michot, Yves Pagès, Véronique Pittolo, Nathalie Quintane, “Toi aussi tu as des armes. Poésie & politique, La Fabrique, 2011.

Peter Bürger, “Fin de l’avant-garde?”, Écriture contemporaine, vol. 31, n° 2, hiver, 1999.

Pascale Casanova, “Histoire fragmentaire de la littérature des souterrains et des terriers”, TINA. There Is No Alternative, éditions Ere, n°1, août 2008.

Yves Citton, Programme du séminaire “Médiartivismes poétiques”, automne 2018, consultable sur :

http://www.yvescitton.net/wp-content/uploads/2017/09/MA-MediartivismesPoetiques-Programme-14sept2018-1.pdf

Jean-Marie Gleize, Sorties, Questions Théoriques, , 2009.

Kenneth Goldsmith, L’écriture sans écriture : du langage à l’âge numérique, Jean Boîte Editions, 2018 [Uncreative writing: managing language in the digital age, 2011]

Christophe Hanna, Nos Dispositifs poétiques, Questions Théoriques, , 2010.

Clémentine Hougue, Le Cut-Up de William S. Burroughs. Histoire d’une révolution du langage, Les presses du réel, 2014.

Jean-François Lyotard, Le Différend, Minuit, 1983.

Jean-Charles Massera, “It’s too late to say littérature (Aujourd’hui recherche formes désespérément)”, Ah!, n°10, 2010.

Magali Nachtergael (dir.), “Littératures expérimentales. Écrire, performer, créer à l’ère numérique”, Itinéraires. Littérature, textes, culture, 2017-3.

Danielle Perrot-Corpet et Anne Tomiche (éds.), Storytelling et contre-narration en littérature au prisme du genre et du fait colonial (XXe-XXIe s.), Peter Lang, 2018.

Nathalie Quintane, “Pourquoi l’extrême gauche ne lit-elle pas de littérature ?”, dans Les Années 10, La Fabrique, 2014.

Revue Dissidences, “L’extrême gauche saisie par les lettres”, n°16, 2018.

Revue Multitudes, “Majeure Contre-fictions politiques”, n° 48, 2012.

Olivia Rosenthal, Lionel Ruffel (dir.), “La littérature exposée. Les écritures contemporaines hors du livre”, Littérature, n° 160, décembre 2010.

Olivier Quintyn, Implémentations/Implantations, Questions Théoriques, , 2017.

Gaëlle Théval, Poésies Ready-Made. XXe–XXIe siècles, L’Harmattan, , 2015.

Antoine Volodine, “Récapitulatif pour d’autres nous autres ainsi que pour nous-mêmes et nos semblables ou dits semblables”, Revue critique de Fixxion française contemporaine, n°2, 2011.