Appel à contribution #2 : L’Effacement (FPC n° 14, 2018)
L’effacement en poésie peut être décliné de manières diverses et plurielles. Il peut être le fruit
d’un travail de révision d’une oeuvre en gestation ou le résultat d’une manipulation, voire de défiguration,
d’une oeuvre existante. Dans le premier cas, il s’apparente à un travail d’amélioration du
texte placé sous le signe de la concision, de la contraction et de la compacité garantes de la qualité
et de la puissance du texte. Dans le second, il se manifeste tantôt comme une forme d’excision textuelle
(on songe, par exemple, au travail effectué par Ezra Pound sur The Waste Land de T.S. Eliot),
tantôt sous la forme d’une réécriture du texte source visant à le débarrasser d’une partie de son
contenu et de sa forme afin d’en altérer les mécanismes formels et sémantiques.
Depuis une quarantaine d’années, dans la foulée de la frénésie révisionniste prônée par
l’esthétique postmoderne, on assiste à un véritable âge d’or de ce qu’il est convenu d’appeler la «
poétique de l’effacement ». La success story de ces pratiques dans le monde anglo-saxon, en particulier,
est souvent associée à un désir de revisiter des oeuvres ou des genres canoniques dans le but
de mettre au jour leurs appareillages formels et idéologiques, qu’il s’agisse de détourner le lyrisme
des Sonnets de Shakespeare (Jen Bervin, Nets) ou d’oblitérer la prose d’un three-decker victorien
afin d’en « exhumer » le contenu « caché » sous la forme de « bulles » lyriques (Tom Phillips, A
Humument). A l’instar d’autres « erasurists » contemporains, Bervin et Phillips se démarquent des
oppositions entre transparence expressive et opacité matérielle au profit d’une écriture qui met
l’accent sur les mécanismes de production du sens. Dans le domaine de la poésie allemande, un
exemple bien connu vient à l’esprit : Bertolt Brecht qui a effacé la plupart du poèm « Früher
Mittag » d’Ingeborg Bachmann pour n’en laisser que quatre vers. Et en France, l’on songe à certaines
pratiques des surréalistes et de l’Oulipo comme l’haïkaïsation ou, en remontant au début du
XXe siècle, au « Carnaval de chefs-d’oeuvre » de Georges Fourest qui comprend un sonnet résumant
hardiment le Cid de Corneille et se terminant par les vers : « Dieu ! soupire à part soi la plaintive
Chimène, / Qu’il est joli garçon l’assassin de Papa ! ».
La question de l’effacement se doit d’être examinée dans sa relation aux formes ainsi détournées,
oblitérées, gommées et/ou défigurées. Il est aussi loisible de s’attacher aux distinctions établies
par Gérard Genette dans Palimpsestes (1982). Selon la terminologie du poéticien, les pratiques
d’effacement relèvent assurément de la relation de transformation (et non d’imitation) mais les
régimes (ludique, satirique ou sérieux) varient, de sorte que l’on trouvera probablement des effacements
parmi les parodies (ludiques), les travestissements (satiriques) et les transpositions
(sérieuses), particulièrement, en ce qui concerne ces dernières, dans les procédés de versification, de
prosification, de transmétrisation, et surtout de réduction (coupure, censure, auto-censure, contraction
ou résumé).
Les articles proposés s’attacheront également à rapprocher l’effacement d’autres formes de
réécriture et de sur-écriture s’inscrivant dans une tendance plus large et de plus en plus prisée par
certains poètes contemporains : l’on songe, par exemple, au found text, aux techniques du cut-up et
du writing-through (W.S. Burroughs, John Cage, Jackson MacLow…) ou aux dispositifs postmallarméens
plus récemment mobilisés par Ronald Johnson (RADI OS [1977]) ou Travis
Macdonald (The O Mission Repo [2008]). Enfin, une attention particulière sera accordée aux liens
étroits entretenus entre l'effacement et la réécriture au sens large, l’effacement « pur » pouvant être
considéré comme une forme de réécriture du texte source.
Les propositions de contributions attendues respecteront les directives suivantes :
– choisir un corpus représentatif et contemporain (20e et 21e siècles, un poète, une époque, un courant
ou une école, une revue, un paradigme ou un discours poétique, une comparaison) ou aborder
une question générale (théorique ou technique) ou transversale ;
– choisir un ou plusieurs points de vue d’observation (syntaxe, lexique, diction, prosodie, métrique,
pragmatique, discours, etc.) selon le(s)quel(s) aborder la question de la phrase dans ce corpus ou
selon cette question ;
– définir la méthode ou la démarche, théorique ou pratique, qui leur sera appliquée.
Longueur des contributions : voir supra.
Délai d’envoi : 31 janvier 2018 (il est souhaitable de manifester préalablement son intention, en envoyant un titre et un résumé éventuel).
Date de publication : 2e semestre 2018.
Adresse d’envoi : Gerald.Purnelle@ulg.ac.be, mdelville@ulg.ac.be