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Insinuer dans l'Espagne du Siècle d'Or (Montpellier)

Insinuer dans l'Espagne du Siècle d'Or (Montpellier)

Publié le par Université de Lausanne (Source : Fabrice Quero)

Journée d'études "Insinuer dans l'Espagne du Siècle d'Or",

Université Paul-Valéry Montpellier, 25 octobre 2019

Appel à communications

À en juger par les définitions enregistrées dans les dictionnaires du siècle suivant, il faut attendre le xviiesiècle pour que se produise le « tournant insinuatif[1] » qui fait basculer l’insinuation du domaine de la rhétorique à celui de la linguistique et la consacre définitivement comme une catégorie de l’implicite[2]. Ce renversement la dépouille d’une bonne part de ce qui avait fait sa définition jusqu’alors pour n’en conserver, à première vue, que le socle étymologique d’introduction subreptice, de pénétration à peine perceptible. Mais dès le xviiesiècle, vers l’insinuation convergent tout un ensemble de traits qui sont appelés à modeler la physionomie du procédé et qui la font se replier sur un dire implicite et dommageable, une dissimulation contondante. Il y a loin, par conséquent, de l’insinuatio latine, cette catégorie d’exorde à mobiliser devant un auditoire a priori défavorable à l’orateur et rétif à ses arguments (Cicéron, De l’invention, I, 15, 17 ; Quintilien, Institution oratoire, I, 4, 1 ; Rhétorique à Herennius, I, 4-9), à la figure emblématique de l’implicite malveillant. Alors qu’il s’agissait de s’insinuer dans l’esprit du public pour susciter attention, bienveillance et intérêt, de pratiquer une forme bénigne de manipulation toute rhétorique, il ne sera plus question désormais que d’exercer une violence dégradante pour celui qui est la cible de l’insinuation. Dans son Elocuencia española en arte (1604)Jiménez Patón[3]introduisait déjà au côté de l’idée de détour qui préside à l’insinuation classique les notions de déguisement et de dissimulation, dans une manière de transition entre le nécessaire ornement rhétorique et ce qui relève d’une stratégie tout autre.

Avec les œuvres de Quevedo et de Gracián, le conceptisme porte cette seconde insinuation à son apogée. Le style de vie et les usages observables dans les milieux courtisans ou chez les personnages qui gravitent autour de la cour et dans les cercles du pouvoir, quels qu’ils soient, trouvent à se traduire au cœur des œuvres littéraires et de leur style. Ce procédé de dénigrement et de disqualification, voisin de la satire et de l’ironie sur les plans rhétorique et stylistique, investit naturellement les discours de polémique et de controverse. De ces simples observations se dégagent ainsi une série de caractéristiques générales : au xviiesiècle l’insinuation devient un élément d’une culture élitiste ; procédé du discours verbal comme iconographique, elle n’est pas uniquement liée à des circonstances agonistiques mais peut s’entendre, lato sensu, comme manifestation par excellence d’une communication reposant sur le détour et la subtilité. 

À ce titre, elle n’est sans doute pas l’apanage de l’âge baroque, quoiqu’elle trouve dans le contexte politique du xviiesiècle et dans l’esthétique qui triomphe à cette époque un climat particulièrement propice à son épanouissement. On peut se demander, en effet, si le xviesiècle espagnol ne prélude pas à ce qui prend son essor au siècle suivant. En effet, les modèles courtisans comme les situations de controverse conduisent à un usage du discours comme instrument permettant de faire comprendre et de pénétrer ce qu’il n’est pas possible d’exprimer de façon ouverte. Il ne s’agit donc pas de suggérer. Celui qui insinue ne prétend pas « inspirer quelque chose à quoi on ne songeait pas » mais bien employer « de l’adresse, des détours, des ménagements[4]. » L’insinuation, hors de tout contexte de lutte ouverte, manifeste par conséquent un degré élevé de virtuosité dans le discours où, de manière paradoxale, renoncer à parler nettement ou directement permet de faire accéder à un niveau supérieur de sens, stratégie remarquablement utile pour échapper à la censure mais mobilisable par ailleurs dans bien d’autres contextes.

La journée d’études organisée le 25 octobre 2019 par l’équipe LLACS (EA4582, Université Paul-Valéry Montpellier 3) a pour objet d’interroger ce phénomène rhétorique dans la prose espagnole de l’époque moderne afin de mettre au jour ses manifestations et mécanismes en confrontant les textes des xvieet xviiesiècles. Première d’une série de trois rencontres dont les communications sont appelées à former un ouvrage sur la question, elle portera sur la prose d’idée, doctrinale et fictionnelle (à l’exception du roman). Il s’agira de tenter d’identifier les points communs et les solutions de continuité entre l’insinuatiode la rhétorique latine, la pratique intellectuelle et esthétique d’un art du détour, et le recours stratégique et offensif à ce qui voisine avec l’implicite. On pourra tout particulièrement étudier ces diverses manifestations de l’insinuation en rapport avec le contexte historique (politique, culturel) dans lequel elles apparaissent, ou encore au sein de la biographie et de la production d’un auteur, ou encore dans un champ générique particulier. Sur ce dernier point, on pourra privilégier les frontières du littéraire (dialogues, lettres, traités, etc.) pour apprécier les spécificités du trope de l’insinuation. De façon générale, les interactions entre contexte, choix génériques et formels et dispositifs insinuatifs pourront retenir l’attention des participants.

Les propositions de communication sont à adresser à Fabrice Quero (fabrice.quero@univ-montp3.fr) avant le 1erseptembre 2019.

L’équipe LLACS prendra en charge l’hébergement des participants. Les langues de cette rencontre seront l’espagnol et le français.

 

[1]Voir Laurent Susini, « L’insinuation classique en question », dans Delphine Denis, Carine Barbarfieri et Laurent Susini, Les intraduisibles du vocabulaire critique, xvie-xviiesiècles,Toulouse, Presses Universitaires du Midi, 2018, p. 119-127. Article consultable en suivant ce lien : https://www.cairn.info/revue-litteratures-classiques-2018-2-page-119.htm

[2]Catherine Kerbrat-Orecchioni, L’implicite,Paris, Armand Colin, 1986, définit l’insinuation « comme étant en général un sous-entendu malveillant : pour que l’on ait affaire à un insinuation, il faut et il suffit que l’on admette qu’un certain contenu se trouve : 

énoncé sur le mode implicite de telle sorte qu’il disqualifie l’allocutaire, ou une tierce personne (on insinue rarement à propos de soi-même…). », p. 43-44.

[3]Bartolomé Jiménez Patón,Elocuencia española en arte, éd. de J. Martín Francisco, Barcelone, Puvill, 1993, p. 444.

[4]Précisions apportées par Littré s. v.« insinuer ».