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Les utopies du corps : approches historiques, philosophiques et artistiques. (Paris)

Les utopies du corps : approches historiques, philosophiques et artistiques. (Paris)

Publié le par Université de Lausanne (Source : Francesca Belviso)

Les utopies du corps : approches historiques, philosophiques et artistiques.

Il y a une chose certaine,
c’est que le corps humain est
l’acteur principal de toutes les utopies.

(M. Foucault, Le corps utopique, 1966). 

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Cette journée d’étude entend interroger la relation que le corps humain entretient avec la notion d’utopie à des époques différentes de l’histoire. Au début du XVIème siècle, Thomas More imaginait l’insula Utopia, un lieu hors de toute géographie où l’herbe est toujours plus verte que nulle part ailleurs. La chasse est interdite, les pauvres n’existent pas, le luxe est banni, tous les membres de la communauté consacrent leurs énergies à des travaux d’utilité publique et à des loisirs studieux. Tous les hommes, sans exception, sont heureux.
L’idée d’une société parfaite implique-t-elle l’utopie d’un corps humain sans défauts ? À quelles conditions peut-on concevoir un glissement conceptuel du collectif à l’individuel ? Y a-t-il des critères structurant l’idéal d’un corps utopique à l’instar de ceux qui ont servi à élaborer l’idée d’une société utopique ?
Si le genre littéraire de l’utopie n’apparaît qu’à la Renaissance, l’idée d’une société idéale et d’un lieu parfait auxquels sont associés des corps humains sans défauts, elle-même héritée de la tradition biblique et du monde grec, n’est pas absente du Moyen Âge. Dans le sillage du dualisme platonicien, le Moyen Âge prône certes, dans la pratique, le mépris du monde et du corps (contemptus mundi et corporis). Cependant, l’idée d’une cité idéale peuplée de citoyens parfaits, corps et âmes, ne disparaît pas de l’horizon de la pensée médiévale, qu’il s’agisse de la représentation des origines de la Genèse (Adam et Eve au Jardin d’Eden) ou de la fin des temps, avec l’avènement de la Jérusalem céleste de l’Apocalypse, cité parfaite promise aux corps glorieux. Ainsi l’immortalité du corps, perdue avec la chute d’Adam, sera-t-elle restituée aux justes, après le Jugement, au moment de la résurrection des corps. Dans cet état béatifique, le corps délivré de ses misères et de ses besoins, sera restitué à l’âme. Ce corps n’est pas un corps aérien mais bien un corps de chair et d’os, avec les mêmes organes que durant sa vie terrestre (Thomas d’Aquin), un corps glorieux dans « la beauté radieuse de la force de l’âge » (Mireille Vincent-Cassy), un corps qui n’est plus un fardeau pour l’âme, mais un surcroît de gloire (Augustin) et duquel elle ne cherche pas à se détacher, mais auquel elle aspire au contraire à s’unir. C’est sur ce fond doctrinal que se développent tous les débats théologiques concernant la matière des corps ressuscités (chair selon la forme ou selon la matière), l’identité numérique (Thomas d’Aquin) ou l’individualité du corps récréé (Bonaventure).
Le Moyen Âge chrétien mène aussi sa réflexion sur le corps utopique, tandis que le glissement s’opère, au plan métaphorique, de l’individuel au collectif, à travers l’image du corps de l’Église, dans le sillage de Paul qui inaugure l’image du « corps mystique ». Le corps devient ainsi le modèle d’une organisation hiérarchique, d’abord de l’Église, puis, à partir du XIIIe siècle, du royaume, corps dont le roi est la tête, et ses sujets les membres et organes, les paysans étant les pieds. La métaphore organiste appliquée au domaine politique témoigne ainsi de l’essor de la notion abstraite de l’État, tandis qu’émerge la conception mystique des deux corps du roi, largement conquise contre la sacralité de l’Église (Jean-Claude Schmidt). Son corps individuel et périssable est ainsi doublé d’un corps dynastique et immortel où convergent dimension individuelle et collective.
À l’époque moderne et contemporaine, les modèles, les usages et les limites du corps humain ont été à maintes reprises imaginés, redéfinis, voire réinventés, grâce aux nombreux possibles concevables à partir des sciences et des arts mais aussi de la théologie et de la technologie. Le Modulor conçu par Le Corbusier, le corps du premier homme, le corps des anatomistes, les corps de Frankenstein ou de l’Eve future sont marqués du sceau de l’utopie. Leurs concepteurs se détournent du présent pour inventer un passé, un futur ou un lieu lointain où le possible imaginable a été ou sera réalisé. La puissance créatrice de formes et de normes, propre à la pensée utopique, ne semble pas épargner le corps.
À titre d’exemple, au XVIIème siècle, après les renouveaux dans le domaine de l’anatomie et de la physiologie opérés en 1543 par Andrée Vésale et en 1628 par William Harvey, René Descartes réduit le corps à une machine en le rendant conforme aux lois de la nature. Ainsi l’idée de l’automate humain voit-elle le jour. Ce corps imaginé est-il idéal, parfait, fonctionnel ou les trois à la fois ? Trois siècles plus tard, Clynes et Kline créent le terme « Cyborg » pour parler d’un corps auquel on ajoute une machine pouvant libérer l’homme des contraintes imposées par la nature. Deux utopies spéculaires se profilent. D’un côté, un rêve d’exactitude où le corps humain est assimilé à une machine naturelle, de l’autre côté, un rêve d’hybridation de l’humain où l’on dépasse artificiellement les limites du corps. À travers ces deux grandes utopies technologiques du corps, les cultures moderne et contemporaine ont confié à la technique la tâche de redessiner le champ des possibles du corps humain. De surcroît, l’automate et le cyborg ont dépassé le domaine strictement scientifique et mobilisé une remarquable puissance imaginaire.

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Nous visons à étudier les utopies du corps en suivant de multiples axes thématiques non exhaustifs :

1) le corps originel, celui du premier homme et de la première femme ;

2) le corps normal(isé) dans la médecine et dans d’autres savoirs, le corps réparé, le corps amélioré ;

3) le corps dans son rapport à l’extrême, l’épreuve, le dépassement de soi (le saint, le mystique, l’athlète, le performeur, défis du porn et post-porn etc.) ;

4) le corps dans les ouvrages de fiction (utopies, distopies, etc.) ;

5) les biopolitiques du corps ; les utopies du corps politique ;

6) le corps et son image dans divers domaines (peinture, sculpture, journaux, satire, publicité, bande dessinée, planches anatomiques, etc.).

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Les sources analysées pourront relever des typologies suivantes :

1) ouvrages scientifiques : biologie, médecine, SHS ;

2) œuvres littéraires ;

3) œuvres philosophiques ;

4) journaux intimes et échanges épistolaires ;

5) traités d’architecture ;

6) écrits d’économie politique ;

7) images ;

8) terrain.

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Les contributions doivent être inédites et ne pas être en cours de soumission à d’autres publications. Elles doivent proposer une contextualisation et une mise en perspective des problématiques abordées. Elles seront soumises à une double expertise anonyme par le comité d’organisation de la journée en vue de la publication dans la revue Historia Magistra (Franco Angeli Editore).

Les propositions de communication (en français, anglais ou italien, avec titre et résumé de 1500-2000 signes), accompagnées d’une courte notice bio-bibliographique, sont à adresser au plus tard le 30 mars 2018 à utopiesducorps@gmail.com

La journée d’étude aura lieu le 3 mai 2018 à l’université Paris Est-Créteil.

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Organisation : Francesca Belviso (CIRCE – LECEMO Paris 3 Sorbonne Nouvelle) Roberto Poma (LIS – UPEC), Sonia Porzi (IHRIM – Clermont-Ferrand).

Comité scientifique : Francesca Belviso (CIRCE – LECEMO Paris 3 Sorbonne Nouvelle), Emanuele Clarizio (COSTECH – Université de Technologie de Compiègne), Alessandro Giacone (LUHCIE – Université Grenoble Alpes), Clizia Magoni (Historia Magistra), Roberto Poma (LIS – UPEC), Sonia Porzi (IHRIM – Clermont-Ferrand).