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L’écrit et le « sculptural » (Toulouse)

L’écrit et le « sculptural » (Toulouse)

Publié le par Université de Lausanne (Source : Claire Gheerardyn)

Appel à communication : L’écrit  et le « sculptural »

Colloque organisé à l’Université Toulouse - Jean Jaurès  par Claire Gheerardyn et Benoît Tane (LLA-CRÉATIS)

Les mercredi 12 et jeudi 13 Juin 2019

Lorsque Christian Prigent écrit dans Le Sens du toucher  (2008): « Il m’arrive en écrivant, d’avoir la sensation vive de rouler les mots entre mes doigts, comme des concrétions de matières », il semble répondre de manière lointaine à Théodore de Banville qui, dans une fameuse « Odelette » dédiée à Théophile Gautier, place dans les mains du poète «  L’outil du ciseleur » (1856). Modelage de l’argile d’un côté et taille directe de la pierre de l’autre font de l’écriture une sculpture sur mots. Prigent et Banville aspirent ici tous deux à « écrire comme on sculpte », assimilant les gestes de l’écrivain à ceux du sculpteur, et la matière verbale à une matière sculpturale.

Il s’agira de mettre à l’épreuve l’analogie entre sculpture et littérature en soumettant à la réflexion collective la question suivante : dans quelle mesure un texte peut-il être qualifié de sculptural ? Nous espérons ainsi développer l’étude des relations transmédiales entretenues par la littérature et la sculpture. Jusqu’à récemment, ce domaine d’étude a été presque entièrement négligé au profit d’autres arts, et en particulier de la peinture. Quelques études ont pourtant fait figure de pionnières[1]. Nous voudrions reprendre ce chantier en déplaçant les questions soulevées par nos prédécesseurs, pour poser au centre de l’attention non tant les liens de certains écrivains à certains sculpteurs, que le sculptural, notion à définir, sujette à variations, mais propre à décrire des traitements de matière, des formes, des gestes, des compositions...

Les quelques études existantes ont jusqu’alors favorisé la littérature française[2]. Dans une perspective comparatiste, nous proposons au contraire d’éclairer d’autres sources, écrites dans des langues diverses. Le corpus des « textes sculpturaux » se trouve très largement à inventer, en fonction de critères à circonscrire. Ainsi, ce n’est sans doute pas parce qu’une sculpture est évoquée dans un texte que ce dernier devra nécessairement être qualifié de « sculptural » ; néanmoins, la présence avérée de la sculpture pourra servir de point de fixation, donnant consistance à la catégorie qui nous intéresse.

Peut-on vraiment écrire comme on sculpte ? Les mots forment-ils une matière susceptible de subir différentes façons (la ciselure, le polissage, la cassure, etc...[3]), pour se constituer en creux, aspérités, arrêtes, contours ? Il faut alors se demander fermement comment de telles catégories peuvent être transférées de l’objet sculpté vers l’objet textuel. Nous proposons donc de tenter d’analyser les textes « sculpturaux » en forgeant des outils empruntés à la sculpture et à sa matérialité?dans l’espoir de faire ainsi émerger des lectures inventives.

Il faudra alors être attentif à ce qu’une sculpture ne constitue pas un objet immobile et univoque, mais se développe selon un processus où se succèdent de nombreux états, depuis l’ébauche première jusqu’à l’érosion de la forme. De même, le verbe « sculpter » recouvre des opérations très diverses (modelage, taille, soudure, fusion, gravure...), portant sur des matières variées (argile, pierre, métaux ou alliages, bois, plâtre...). Depuis l’antiquité, on oppose les techniques procédant par soustraction de matière (per via di levare) à celles qui procédant par adjonction de matière (per via di porre), modèle à compléter de pratiques plus récentes, telles l’assemblage, art du composite et du modulaire (voir l’œuvre de Carl Andre, sculpteur et poète). Comment ces techniques variées peuvent-elles inspirer la création de nouveaux dispositifs écrits ? Comment transforment-elles la perception des textes ? Quelles conséquences sur la notion de « forme » ?

 

Nous désirons pousser dans ses retranchements l’examen de l’analogie entre texte et sculpture, tout d’abord en l’emmenant sur de nouveaux terrains.

- L’analogie en question concerne en premier lieu le travail de la langue poétique, vouée à expérimenter en repétrissant, retaillant, refondant la parole. Toutefois, d’autres genres, et tout particulièrement l’essai et le roman, méritent aussi d’être examinés au prisme du sculptural. L’opposition entre une forme brève, ramassée en des contours précis, et une forme longue, se déployant dans l’espace étendu de la lecture, et se montrant sous des angles renouvelés, se révèlera peut-être ici éclairante. De surcroît, la fiction a partie liée étymologiquement avec l’acte de fingere, de malaxer entre les doigts une matière ductile. Le récit, l’essai, le poème sont peut-être des formes souples, malléables, en perpétuel devenir. L’étude de leur caractère sculptural devra s’accompagner d’une étude de leur plasticité[4].

 

- L’analogie entre littérature et sculpture éclaire certes la création du texte, mais peut-être gagnerait-on aussi à l’envisager sur le plan de la réception et de la lecture. Le romancier serbe Milorad Pavic a ainsi déclaré de son Dictionnaire khazar (1984) : « Mon roman se lit de la même façon qu’on admire une sculpture : il n’a ni début ni milieu ni fin, il faut en faire le tour» L’étude du sculptural conduit alors à celle d’une plasticité des œuvres refaçonnées par leurs lecteurs.
La sculpture de surcroît, loin de se destiner au seul regard, s’appréhende avant tout par le toucher. Quelle place alors pour la main et la peau du lecteur ? Certains textes aspirent-ils à faire naître une « sensation tactile indirecte, imaginaire » (selon l’expression de Herbert Read) et s’explorent-ils à tâtons pour le lecteur ?  Il y a-t-il, pour détourner une expression de Ezra Pound, une « caressabilité » du langage ? Des catégories sculpturales, telles le dur, le rugueux, la saillie, l’aspérité, reposent sur une perception par palpation. Au prix de quels déplacements peut-on parler de dureté ou de souplesse, de rugosité du langage ou de la forme textuelle ?

- Faut-il limiter l’analogie entre littérature et sculpture au travail formel ? N’y a-t-il pas d’autres points de rencontre ? Ce sont différents types d’objets sculptés qui peuvent servir de modèle à la littérature : monuments, tombeaux, figures sacrées ou épiphaniques, formes ponctuant un paysage, bibelots, rondes-bosses et bas-reliefs, etc... L’analogie concernerait alors aussi les fonctions du sculpté et de l’écrit.

- Ce sera aussi le détour par les autres arts (la danse, la musique, le cinéma, la photographie, le dessin, etc.) qui permettra d’articuler la sculpture à la littérature. Ainsi la « gravure » fait peut-être entrer la sculpture directement dans le dispositif du livre (traditionnellement en effet le graveur indique sculpsit pour signer). Le processus de l’impression transforme peut-être l’écrit imprimé en sculpture plate. De surcroît, aborder d’autres arts pourra enrichir la perception de la catégorie interrogée. Un film peut-il par exemple être dit sculptural sur le même mode qu’un roman ?

- Enfin, le fait même de « penser par analogie » nous paraît devoir être examiné. Poser une équivalence entre écriture et sculpture exige de réinventer le texte par une participation active du lecteur qui doit accepter de considérer ce dernier comme se déployant en volume. Il sera fécond d’interroger cette analogie pour ce qu’elle est, en se demandant où et comment elle se révèle fertile, jusqu’où elle tient, où elle se dérobe, où elle s’effondre. Cette analogie est-elle réversible : peut-on sculpter aussi comme on écrit ?

 

Les propositions de communication (environ 500 mots), accompagnées d’une brève notice bio-bibliographique, sont à adresser avant le 19 novembre à l’adresse claire.gheerardyn@gmail.com.

[1] Voir Keith Aspley, Elizabeth Cowling, Peter Sharrat (dir.), From Rodin to Giacometti, Sculpture and Literature in France, Amsterdam et Atlanta, Rodopi, 2000 ; Michel Costantini (dir.), Pour une sémiotique de la sculpture, VISIO, vol. 7, n°3-4, automne 2002-hiver 2003 ; Lois Cassandra Hamrick and Suzanne Nash (dir.), Sculpture et poétique : Sculpture and Literature in France, 1789-1859, numéro spécial de la revue Nineteenth-Century French Studies, Vol. 35, n° 1, automne. 2006 ; Ivanne Rialland (dir.), Écrire la sculpture, XIXe-XXe siècles, Classiques Garnier, 2012.

[2] Une publication récente autour de Brancusi a ouvert cependant l’étude à la poésie de toutes les langues. Voir Ana-Maria Gîrleanu et Natacha Lafond (dir.), Constantin Brancusi et les poètes, ReCHERches, N°17, printemps 2016.

[3] Pour une étude des procédés sculpturaux voir notamment Herbert Read, The Art of Sculpture, Londres, Faber and Faber, 1956 ; Rudolf Wittkower, Qu’est-ce que la sculpture ? Principes et procédures de l’Antiquité au XXe siècle, Macula, 1977 ; David Hulks, Alex Potts, Jon Wood (éd.), The Modern Sculpture Reader, Leeds, Henry Moore Institute, 2007. Pour une réflexion sur la matière voir Ralph Dekoninck, Agnès Guiderdoni-Bruslé et Nathalie Kremer (dir.), Aux limites de l'imitation. L’ut pictura poesis à l’épreuve de la matière (XVIe-XVIIIe siècles), Amsterdam et New York, Rodopi, 2009.

[4] Sur cette notion, voir Mireille Raynal-Zagouri (dir.), Le Rêve plastique des écrivains, La Licorne, Presses universitaires de Rennes, 2017.