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La morale en action. Apologues, paraboles, proverbes et récits exemplaires au XIXe s.

La morale en action. Apologues, paraboles, proverbes et récits exemplaires au XIXe s.

Publié le par Marc Escola (Source : Éléonore Reverzy)

La morale en action

Apologues, paraboles, proverbes et récits exemplaires au xixe siècle

Colloque organisé par Violaine Heyraud et Éléonore Reverzy

CRP19/Paris-Sorbonne nouvelle

18 et 19 octobre 2018

 

Appel à communication

Une thèse récente portant sur le « récit apologétique laïc » soutenue à l’Université de Paris-Sorbonne le 26 novembre 2016 est revenue sur la notion d’exemplarité au xixe siècle et a souligné l’importance de l’exemplum dans la littérature catholique. Le présent colloque entend se pencher sur le fonctionnement exemplaire de la fiction, au sens classique du terme, donc suivant une approche a-générique. On pourra donc étudier autant les pièces de théâtre qui reposent sur des proverbes (Musset à la suite de Carmontelle) ou la manière dont des textes de prose illustrent ou détournent des proverbes (« La Corde » de Baudelaire), renouent avec le genre de la « moralité » (Laforgue) ou se font paraboles socialistes et champêtres chez George Sand. On s’intéressera à la façon dont un énoncé livré d’emblée (il ne faut pas d’une femme trop aimante, « Histoire vraie » de Maupassant) est illustré par le récit que rapporte l’un des convives, ou, au contraire à la manière dont on peut dégager d’un roman une morale à laquelle il est plus ou moins réductible (Fort comme la mort du même auteur illustrerait ainsi « le danger d’aimer hors de saison » selon André Vial).

La tradition antique puis médiévale avait assigné à l’exemplum la fonction d’illustration d’un argument ; les exemples étaient soigneusement listés et catalogués en fonction du contexte où ils devaient être employés, fixés dans des topiques. Le livre ancien d’Ernst Robert Curtius avait exhumé ces topiques dans son ouvrage La Littérature européenne et le Moyen âge latin (1948). Comment le xixe siècle renoue-t-il avec cette tradition exemplaire qui semble d’abord propre à la littérature classique et liée notamment à l’écriture de l’histoire ? En quoi un modèle rhétorique informe-t-il la fiction en un siècle où l’éloquence recule et où le discursif semble désormais occuper ce nouveau territoire qu’est le journal ? En quoi dès lors « les discours du journal » peuvent-ils gagner aussi les fictions qui voisinent avec eux sur la page du quotidien ? Ou n’est-ce pas que le discours se fait souterrain, l’exemple occupant dès lors tout le champ comme détaché d’un discours qui s’effacerait et qu’il s’agirait pour le lecteur de mettre au jour ? Cet infra-discours n’est pas un métadiscours, en ce qu’il ne renvoie pas à la manière d’écrire l’œuvre ou plus simplement à une idée de la littérature, mais un modèle discursif dissimulé dans les replis du texte qui en commande la structure et en détermine l’organisation, tout en en programmant la réception. Ce petit jeu de cryptage, bien des auteurs du xixe siècle s’y sont exercés dans des fables parfois cruelles (le Baudelaire du Spleen de Paris, le Maupassant des récits courts) d’où ressortaient des « morales désobligeantes » (Baudelaire encore). Cela suppose une sollicitation du  lecteur, qu’il s’agit de chercher de manière souvent retorse et parfois décevante.

Il faudra sans doute commencer par envisager les formes, sous lesquelles se présentent les textes exemplifiants (anecdotes, récits de cas, allégories, maximes, sentences, aphorismes,  paraboles etc.), ce qui peut permettre de mettre au jour le processus de généralisation ou au contraire d’éclairer le cheminement inverse qui fait passer de l’exemple à l’infra-discours. On n’opposera ainsi pas la clarté des paraboles sandiennes ou des allégories balzaciennes et zoliennes à celles d’écrivains passés maîtres dans le sarcasme, mais on cherchera à éclairer les moyens de cette exemplarité et de ce rapport paradoxal à une doxa. On se demandera si la relation entre le discours et la fiction tient de la servitude ou si l’un peut servir de tremplin à l’inventivité de l’autre et selon quels modalités et protocoles, au risque peut-être du sens.

Dans un article célèbre, Karleinz Stierle est revenu notamment sur les Réflexions sur la fable de Lessing pour poser la question de la finalité : « ce que l’exemple implique, c’est le principe moral. Ce dans quoi il s’explicite, son medium, c’est l’histoire. L’exemple est en même temps une forme d’expansion et une forme de réduction : expansion par rapport à la sentence qui le fonde, réduction par rapport à une histoire dans laquelle on découpe et on isole ce dont l’action verbale de l’exemple a besoin pour se concrétiser ». Ces modalités d’expansion et de réduction peuvent être interrogées. Le récit par sa structure logico-sémantique (le « post hoc ergo propter hoc » ; la résolution finale d’une contradiction initiale), est en elle-même une structure de persuasion, un faire-croire propre à tous les endoctrinements moraux. Le théâtre, par les tableaux et situations dramatiques qu’il réunit, obéit également à une logique structurelle qui recourt à d’autres moyens (l’action) pour parvenir à ses fins – ou en opérer le déplacement, que ce soit dans le proverbe mussétien ou dans les comédies et vaudevilles fondant un « exemple utile » (Labiche) sur une morale suspecte.

La tradition aristotélicienne suppose que l’exemple soit emprunté à l’histoire événementielle, réservoir exemplaire ou collection d’anecdotes, qui pose la question du rapport au temps : au xixe siècle, siècle de l’histoire, siècle où le temps s’accélère brutalement, quels événements peuvent encore être employés pour leur valeur d’illustration ? De nouveaux exemples – les révolutions notamment – ne servent-ils pas à formuler l’idée d’une histoire répétitive, en ce temps de progrès ? 

L’exemple peut devenir cas, ou histoire qui illustre le cas. Ainsi peut-on lire bien des contes cruels (Villiers de l’Isle-Adam, Mirbeau) ou des nouvelles (de Maupassant à Maurice Renard) comme des récits de cas au sens médical et/ou judiciaire du terme. Le modèle du fait-divers sur lequel on rabat volontiers ces récits courts du dernier tiers du xixe siècle est en fait repris pour être travaillé par un discours externe qui vient cadrer et finaliser ces histoires, et peut-être leur conférer ainsi une forme de légitimité. Les « fables de la fatalité » que sont les nouvelles de Maupassant fonctionnent précisément comme des arguments « qui prouve[nt] la fatalité de la clôture » (Antonia Fonyi) et reposent sur une poétique dramatique qui programme une narration tendue vers sa fin.

Enfin la fiction peut être collection et collusion de discours, vouée dès lors à exemplariser une variété discursive confuse. Baudelaire, parmi d’autres, a pu s’amuser dans certaines pièces du Spleen de Paris à ce procédé de mise en réseau d’énoncés comme pour les mieux vider de leur contenu, interroger la portée de la doxa ou engendrer chez le lecteur le malaise, condamné qu’il est à reconnaître et à ne pas reconnaître. Ces procédés de familiarisation-défamiliarisation sont une constante de ces fictions exemplaires ironiques. Comment se maintient peut-être la tradition des anas dans le projet flaubertien du Dictionnaire des idées reçues et dans l’Exégèse des lieux communs de Bloy ?

Les organisatrices privilégieront les propositions abordant la question de l’exemplarité de façon transversale ou traitant de façon monographique de la question chez un auteur.  

Les propositions de communication de quelques lignes, accompagnées d’une notice bio-bibliographique succincte sont attendues avant le 31 décembre 2017 aux adresses suivantes : violaine.heyraud@univ-paris3.fr et ereverzy@free.fr

 

Bibliographie indicative

Berlioz, Jacques et Polo de Beaulieu, Marie-Anne, Les Exempla médiévaux. Introduction à la recherche, Carcassone, Garae/Hésiode, 1992.

Idem (dir.), Les Exempla médiévaux : nouvelles perspectives, Paris, Champion, 1998.

Borrego-Perez, Manuel, L’Exemplum narratif dans le discours argumentatif (xvie-xxe siècles), Besançon, Presses de l’Université de Franche-Comté, 2002.

Bouju, Emmanuel (dir.), Groupe Phi. Littérature et exemplarité, Rennes, PUR, 2007.

Bremond, Claude, Le Goff, Jacques et Schmitt, Jean-Claude, L’ « Exemplum », Turnhout , Brepols, 1982.

Curtius, Ernst-Robert, La Littérature européenne et le Moyen Âge latin, Paris, Presses Pocket, 1991(1948 pour la 1ère éd. all.).

Duché, Véronique et Jeay, Madeleine (dir.), Le Récit exemplaire (1200-1800), Paris, Classiques Garnier, 2011.

Garnot, Benoît (dir.), Normes juridiques et pratiques judiciaires du Moyen Âge à l’époque contemporaine, Dijon, EUD, 2007.

Gelley, Alexander (dir.), Unruly Examples. On the Rhetoric of Examplarity, Stanford University Press, 1995.

Giavarini, Laurence (dir.), Construire l’exemplarité. Pratiques littéraires et discours historiens (xvie-xviiie siècles), Dijon, EUD, 2008.

Glaudes, Pierre, « René, récit exemplaire », dans Bercegol, Fabienne et Glaudes, Pierre (dir.), Chateaubriand et le récit de fiction, Paris, Classiques Garnier, « Rencontres », 2013.

Gossman, Lionel, « Anecdote and History », History and Theory, 2003 (42-2).

Jauss, Hans-Robert, « Une approche médiévale : les petits genres de l’exemplaire comme système littéraire de communication », dans Demerson Guy (dir.), La Notion de genre à la Renaissance, Genève, Slatkine, 1984.

Lyons, John D., Exemplum. The Rhetoric of Example in Early Modern France, Princeton University Press, 1989.

Molino, Jean et Lafahail-Molino, Raphaël, Homo fabulator, Arles, Actes sud, 2003.

Pavel, Thomas, La Pensée du roman, Paris Gallimard, 2003.

Schmitt, Jean-Claude, Prêcher d’exemples. Récits de prédicateurs du Moyen Âge, Paris, Stock, 1985.

Schmitt, Maud, Le Récit apologétique laïc. Barbey d’Aurevilly, Bloy, Bernanos, thèse soutenue à l’Université de Paris-Sorbonne sous la direction de Pierre Glaudes le 26 octobre 2016, 657 p.

Stierle, Karlheinz, « L’histoire comme exemple, l’exemple comme histoire », Poétique, n°10, 1972.

Suleiman, Susan, « Le récit exemplaire. Parabole, fable, roman à thèse », Poétique, n°32, 1977.