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La Poésie en temps de guerre : représentations du conflit et construction de l’identité à la fin du Moyen Âge (Paris)

La Poésie en temps de guerre : représentations du conflit et construction de l’identité à la fin du Moyen Âge (Paris)

Publié le par Vincent Ferré (Source : Laetitia Tabard)

Centre de l’université de Chicago à Paris, 29 et 30 mars 2019

Ce colloque réunira des chercheurs en littérature médiévale, histoire et histoire de l’art afin de s’interroger sur les transformations de la poésie qu’entraînent les diverses guerres et conflits qui traversent l’Europe des XIVeet XVesiècles, et en particulier la « Guerre de Cent ans », qui recouvre une période de grande créativité en matière poétique.

Une des tendances de cette période est liée à l’émergence de la « littérature engagée », qui dénonce les violences perpétrées par l’ennemi autant que les ambitions personnelles qui guident la noblesse française. Les appels à la paix et les textes qui donnent une voix à la déploration et au deuil collectif cherchent à créer ou à recréer le sentiment d’appartenance à une communauté, pour faire face aux conflits internes et externes qui déchirent le pays pendant plusieurs décennies successives. On peut également observer dans la poésie de cette époque, et notamment au XVesiècle, une tendance marquée à la transgression des frontières génériques : des genres et des formes qui semblaient appartenir à des domaines distincts, voire opposés, se mêlent dans des créations originales, dans le prosimètre ou les œuvres combinant diverses formes versifiées, exploitant notamment le cadre souple du dit, ou bien dans les textes inscrivant les événements politiques dans un cadre pastoral, ou encore dans les songes allégoriques alliant visions et débats. La prise de position des poètes dans le champ politique s’accompagne ainsi d’une profonde transformation, thématique autant que formelle, de l’héritage poétique : détournement de la poésie courtoise et des thèmes amoureux, émergence de formes novatrices pour mettre en scène le conflit ou tenter d’en décrypter les enjeux (pastorale politique, moralités historiques…), chroniques en vers et témoignages, par des hommes souvent engagés au cœur du conflit, dans la bataille ou dans la diplomatie. Enfin, une des caractéristiques de la production littéraire des derniers siècles médiévaux est la place qu’y occupe la question de l’identité, sociale ou politique. Alors que certains écrivains visent à renforcer l’unité du royaume de France, d’autres s’attachent à redessiner différemment les frontières. L’affirmation de la puissance des ducs de Bourgogne, face à la relative faiblesse des rois de France, donne lieu à une production culturelle et littéraire très riche, célébrant une identité politique spécifiquement bourguignonne. D’autres œuvres littéraires composées en français s’attachent également à l’affirmation d’identités territoriales restreintes. Dans l’ensemble, les frontières littéraires et politiques de la fin du Moyen Âge se révèlent poreuses, mouvantes, ce qui s’avère tout à la fois déstabilisant et libérateur.

La vitalité de cette production portant la marque brûlante de l’actualité témoigne ainsi de l’importance de la poésie face au défi de la guerre, et pose la question de son rôle ainsi que des enjeux renouvelés qui sont les siens, à un moment où les bouleversements sociaux et politiques impliquent un changement dans les publics, modifient les conditions d’actualisation ou la circulation des textes. La poésie, comme production langagière, entre dans une stratégie d’influence, visant à créer des effets sur un public, dans le domaine affectif, politique ou poétique. Elle participe d’une économie culturelle de prestige, et constitue ainsi un vecteur déterminant dans la construction identitaire des élites médiévales. Instrument souple, elle est cependant capable d’intégrer et de mettre en œuvre des normes littéraires divergentes ; elle est mise au service à la fois de communautés larges ou universelles (la France, la Chrétienté) et restreintes (identité lorraine, ou encore bretonne). Elle peut trouver place dans des rituels de commémoration, de fondation, de deuil, mais aussi accompagner l’action guerrière, se faire chanson, exhortation à l’attaque contre les ennemis. Nommée diversement « poésie de circonstance », poésie de « propagande » ou « militante », ou encore « poésie partisane », la littérature intimement liée aux conflits peut-elle dépasser cette vocation première ? Comment la poésie agit-elle sur son public en temps de guerre ? Comment imaginer la réception médiévale de ces textes littéraires ? Les œuvres de fiction peuvent-elles fonder un savoir, influer sur l’action politique, ou encore énoncer des principes éthiques ? Telles sont les questions que nous souhaitons explorer au cours de ce colloque.

Nous espérons que le croisement de perspectives, grâce à des chercheurs de disciplines et d’horizons différents, permettra de jeter une lumière nouvelle sur les productions poétiques de cette période, saisies dans leur richesse et dans leur variété, sur leur lien avec la constitution d’identités individuelles, poétiques ou politiques, et/ou sur les effets qu’elles ont eus sur ces dernières, questions qui intéressent également le temps présent. Par bien des aspects en effet, la fin du Moyen Âge présente des ressemblances avec notre époque : les ravages de la guerre, les déplacements de population et les bouleversements qu’ils entraînent, les revendications identitaires concurrentes, opposant sentiment d’appartenance locale et attachement à des communautés plus larges, la mise en question des frontières politiques ou des institutions, dont la fragilité est apparue au grand jour, forment autant de points de convergence entre les deux périodes. L’étude de la littérature de la fin du Moyen Âge vaut ainsi par et pour elle-même, mais également par ce qu’elle a à nous dire sur la façon dont signes textuels et visuels construisent un imaginaire politique. 

Les communications pourront s’intéresser, entre autres, aux points suivants : 

  • le contexte historique des poèmes, des poètes ou de témoins manuscrits particuliers
  • la dimension matérielle et visuelle des textes (enluminure, mise en page)
  • l’organisation des manuscrits (contenu, ordre des éléments, éléments paratextuels..)
  • les relations entre les poètes et/ou les poèmes
  • la réception des textes et leur lien avec les conditions de guerre

Les interventions, d’une durée de 20 minutes, feront l’objet d’une mise en perspective par un répondant. Les sessions thématiques, regroupant deux ou trois communications, seront suivies d’un échange de questions-réponses. 

Si vous souhaitez participer à ce colloque, merci d’envoyer une proposition de communication ne dépassant pas les 300 mots et accompagnée d’un court CV à Daisy Delogu (ddelogu@uchicago.edu) et à Laëtitia Tabard (laetitia.tabard@univ-lemans.fr) avant le 1ernovembre 2018.

 

This conference will bring together scholars of late medieval literature, history, and art history in order to examine the poetic transformations occasioned by the multiple wars that traversed Europe in the fourteenth and fifteenth centuries – notably, but not uniquely, the so-called Hundred Years War – a period which demonstrates a marked degree of originality and creative freedom. 

One feature of this period is the emergence of what we might call a littérature engagée, one that decries the violence wrought by the enemy as much as the ambition and self-interest of the French nobility. Calls for peace and texts that mourn collective losses both strive to (re)create communities able to withstand the foreign (and eventually civil) wars that rocked France for many decades. A second feature that we can observe is the purposeful transgression of generic boundaries. The fifteenth century in particular witnesses the combination of genres and forms that might seem not only unrelated, but even antithetical. Prosimetra and mixed verse-form works (which often exploit the flexible form of the dit), texts that inscribe historical events in pastoral settings, works that string together sequences of dream visions and debates, all speak to the sense of poetic license that characterizes this period of French literature. The establishment of poets in the political realm is accompanied by a transformation – both thematic and formal – of the lyric tradition, as evidenced for instance by the reorientation of (or turn from) courtly poetry and romantic themes, the emergence of original forms to stage conflict or to encode political concerns, and the composition of verse chronicles and eyewitness accounts – often by individuals situated – in military or diplomatic terms – at the heart of political conflicts. A final quality of the literary production of this era relates to questions of social and political identity. While some writers sought to reinforce the unity of the kingdom of France, others traced their political boundaries elsewhere. Notably, the relative weakness of the kings of France, and a fortuitous succession of powerful dukes of Burgundy, gave rise to a rich literary culture in the French language, but shaping and celebrating a distinctively Burgundian political identity. Similarly, other literary works composed in French likewise affirmed local identities. Overall, the porous and shifting political and literary boundaries of the later Middle Ages proved to be both destabilizing and liberating. 

The vitality of this poetic production, bearing the searing mark of the political realities of its moment, asserts its importance vis à vis the demands of war, and requires us to interrogate the role and the stakes of poetry at a time when social and political upheavals create new publics, and modify the conditions of literary production as well as the circulation of texts. Poetry constitutes a strategic production of language intended to have effects (which may be affective, political, poetic) upon its readers. Poetry also participates in a prestigious cultural economy, and was therefore an ideal vector for shaping the identities of an elite (and politically powerful) segment of medieval society. Poetry was a flexible instrument, able to incorporate and deploy disparate literary norms, and placed at the service of both broad or universal identities (e.g. French, Christian), and highly localized ones (e.g. Lorraine-ian, Breton). We see poetry playing an active role in rituals of commemoration, foundation, or mourning, but also taking part in military action, whether as song or exhortation to troops. Often viewed as “occasional poetry”, or dismissed as propaganda or partisan writing, (how) can the poetry produced from conflict surpass this context? How does poetry act upon its publics in times of war? What can we learn about medieval reception of literary texts? How can imaginative works produce knowledge, shape political action, or inform ethical positions? These are some of the questions we hope to explore over the course of the conference.

We intend to make possible a confluence of diverse perspectives provided by scholars from disparate disciplines and methodologies that will allow us collectively to shed new light on the rich and varied production of this period, and its relationship to and effects on individual, poetic, and political identity, questions of concern to our present moment as well. Indeed, in many respects the later Middle Ages bears a resemblance to our own age: the ravaging and displacement of populations by warfare and the disruptions produced thereby, the articulation of competing claims for local or nativist vs broad identity, the calling into question of political boundaries, the exposure of the fragility of political authority, are visible in both periods. For this reason, the study of the literary production of the later Middle Ages is not only significant in and of itself, but also for what it can teach us about the ways in which textual and visual signs shape the political imaginary.  

Lines of inquiry for proposals may include (but are not limited to):

  • the historical context of poems, poets, or specific manuscript witnesses
  • the visual and material aspects of texts, such as illuminations and mise en page
  • the organization of the manuscript (what material is included, in what order, in relation to what paratextual elements?) 
  • connections between poets and/or poems
  • textual reception and its relationship to the conditions of warfare

The format of the conference will consist of 2-3 person panels of 20-minute papers followed by a formal response, and then by a question and answer period.

Those interested in presenting their work are asked to provide a paper proposal of no more than 300 words and a short cv to Daisy Delogu (ddelogu@uchicago.edu) and to Laëtitia Tabard (laetitia.tabard@univ-lemans.fr) by November 1 2018.