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La prise : Archéologie et poétique d'un geste de cinéma

La prise : Archéologie et poétique d'un geste de cinéma

Publié le par Marc Escola (Source : Université Paris 7 Diderot)

La prise : Archéologie et poétique d'un geste de cinéma

16-17 avril 2019

Université Paris 7 Diderot

 

Si la prise de vues « paraît définir le cinéma comme acte technique et symbolique» (Dictionnaire de la pensée du cinéma, Pierre Berthomieu, 2012), elle a surtout été envisagée dans les études cinématographiques pour sa dimension pratique et technique. Les ouvrages consacrés à la prise de vues sont autant de manuels techniques à destination des opérateurs pour réaliser des « vues », geste premier qui concrétise lors du tournage les plans virtuels qui composeront le film, mais geste imparfait qui nécessite de faire plusieurs prises, « qu’il faudra ensuite retailler à la bonne longueur et ajuster à d’autres » (Jacques Aumont et Michel Marie, Dictionnaire théorique et critique du cinéma, 2016). Nous voudrions mener une enquête archéologique de ce geste premier, sur un plan diachronique en retraçant tous les usages de la prise dans l’histoire du cinéma et sur un plan synchronique à l’échelle d’un film en reconstituant sa genèse. Nous souhaiterions dans le même temps interroger et reconsidérer la notion de «prise», de vues comme de son, sur un plan esthétique, phénoménologique et poétique, telle qu’elle a été utilisée par les cinéastes dans leur propos et dans leur film, mais aussi par les philosophes, les théoriciens et les critiques de cinéma, pour penser le geste cinématographique.

La prise de vues, avant d’être affiliée au dispositif cinématographique, est un mécanisme d’enregistrement du mouvement des animaux, des hommes, de l’eau et d’autres événements fugitifs, un instrument scientifique en somme. Selon André Gaudreault, le Cinématographe est d’abord « le plus performant des procédés de captation-restitution d’images photographiques en mouvement ». Pour le théoricien, les appareils de prise de vues inventés (« le Cinématographe Lumière, le Kinetograph Edison, et autres Bioskop, etc.») sont un « préalable » à ce que l’on appellera plus tard le cinéma. La prise serait ainsi la matière première, la « base » du sommet qui serait le cinéma. L’histoire des techniques nous permet de noter l’évolution de la prise de vues des premières caméras à plaque de verre aux ingénieuses caméras de Jean-Pierre Beauviala dès les années 70, en passant par les différents formats offerts par la prolifération de différentes caméras destinées à un usage amateur ou expérimental (8 mm, Super 8, 16 mm, etc.). Des premiers essais de prise au tournage sans caméra, du passage du verre à la pellicule, de la vidéo au numérique, comment le geste de prise évolue-t-il ? Comment la notion d’immédiateté transforme-t-elle le geste de l’opérateur ?

À travers l’analyse de la notion de « prise », dont l’équivalent anglais pourrait être aussi bien take que capture utilisé dans le cinéma d’animation, nous voudrions mener une recherche sur la nature du geste cinématographique et questionner de nouveau par ce prisme l’ontologie du cinéma. Que prend-on et comment ? Quel état, quelle intention, quelle philosophie entourent cette prise de vues et de son ? Comment s’orchestre toute l’équipe technique et artistique autour de cette prise de vues comme de son. Peut-on parler d’une éthique et d’une politique de la prise de vues et si oui, dans quelle mesure ?

La notion et le geste de prise dépassent le cadre du cinéma et trouvent une continuité et un miroir dans les autres arts. Si la prise peut représenter au mieux le geste du cinéaste, comment les autres arts (installation vidéo, photographie, arts du spectacle) s’en emparent-ils au point d’être qualifiés de cinématographiques ? Une « prise photographique » peut-elle supporter un tel qualificatif et inversement dans quelles circonstances une prise au cinéma peut-elle être qualifiée de « photographique » ? Dans quelle mesure la notion de « prise de vues/de son » intervient-elle dans l’installation vidéo ? Phénoménologiquement, comment les différents modes de perception (observation/attention) sous-tendent cette notion de rétention du visible ?

Le terme de prise peut être enrichi de l’ensemble de ses variations au moment du tournage. Nous pouvons nous demander ce qui motive le choix d’une prise par rapport à une autre, quelles variations il existe entre les prises cerclées, les prises retenues, les prises doublées et le plan final (qui peut être composé d’un mélange de plusieurs prises). Cette archéologie du geste de prise englobe les accidents de tournage heureux qui ont marqué le film d’un point de vue esthétique comme l’épaisse brume grise de Vampyr de Carl Theodor Dreyer (1932) qui, comme le rappelle Jacques Aumont dans l’ouvrage consacré au film, est « un raté des premières prises de vues » finalement gardé pour son aura mystérieuse et l’opacité supplémentaire qu’elle accorde au film. Quelle place les prises de vues et de son ratées prennent-elles dans les films ? On se souvient de l’aveu d’impuissance de Jean Rouch dans La Chasse au lion à l’arc (1965) qui marque cette « déprise » d’un commentaire : « Et soudain c’est la catastrophe : le lion charge avec son piège, rattrape un berger peul, je m’arrête de tourner mais le magnétophone continue à enregistrer». Alors que l’enregistrement sonore se poursuit, à l’image demeurent uniquement des bribes floues. Le commentaire est-il le seul moyen de « reprise » d’un moment aléatoire capturé ? Les prises de vues ratées sont-elles mises en scène par le/la cinéaste pour donner l’impression d’un sursaut de réel à l’image ? Quelle stratégie, scénario-programme qui ouvre le tournage à l’intervention du hasard ou scénario-dispositif qui encadre précisément les prises de vues et de son pensées en amont (Vanoye, 1991), les cinéastes mettent-ils en place pour tendre vers cette épiphanie de la prise et en faire une puissance de révélation du réel ?

Si la notion de « prise » au cinéma ne semble concerner que le moment du tournage, qu’en est-il ainsi de la prise lors de la conception d’un film, de son écriture, de son découpage et de son montage ? La prise se perpétue-t-elle à chacune de ces étapes de la réalisation d’un film et sous quelle forme ? Le montage énergétique (Térésa Faucon) participe-t-il d’un tel geste ? Depuis la fameuse scène de L’Homme à la caméra (Dziga Vertov, 1929) qui rend le montage visible, les gestes du monteur et du cinéaste ont été intégrés au cinéma comme des fictions en tant que telles. Les héros des films de Brian De Palma (en particulier ceux de Blow Out, 1981 et Snake Eyes, 1998) reprennent sans cesse les mêmes images, les découpent minutieusement, font correspondre le son et l’image à travers différents procédés (écrans de télévision, images arrêtés, enregistrement sonore, etc.). Comment les cinéastes représentent-ils à l’écran ce geste premier ? Cette prise des images par les personnages s’étend-elle à la réception du film par le spectateur dont l’acte de spectature (Lefebvre, 1997) repose sur une appréhension personnelle et signifiante du film pour se constituer son propre musée imaginaire ? Dans quelle mesure les notions de prise, de plan et de rush partagent-elles un champ sémantique commun ? Quels sont les critères discriminants de ces notions ? Les études visuelles et figurales peuvent-elle éclairer la notion de « prise », soit parce qu’elle s’inscrit dans une logique sérielle ou un principe de collection, soit parce que, dans une conception plus plastique du cinéma, elle engage une empreinte personnelle sur une image déjà là, quand le plan n’engagerait de son côté qu’un point de vue sur une surface plane, nette, délimitée par un cadrage fixe ou articulé ?

Ce colloque souhaite faire le point sur les usages, les représentations et la pensée de la « prise » de vues comme de son. Les communications de trente minutes, suivies de dix minutes de discussions, pourront porter sur :

  •  une étude de cas autour d’une œuvre (littéraire ou plastique), d’un film (documentaire, fiction ou animation), d’un cinéaste ou d’un artiste, d’un penseur, d’un critique ou d’une technique de prise de vues ou de son visant à ouvrir des perspectives théoriques ;

  • une étude-bilan faisant l’état des lieux de la question au sein d’une discipline, d’un penseur, d’un cinéaste ou d’un artiste choisis ;

  • une étude théorique, disciplinaire ou interdisciplinaire.

Les propositions de communication d’environ 1500 signes (espace compris), accompagnées d’un titre provisoire et d’une biobibliographie de 5-6 lignes, sont à faire parvenir avant le 23 décembre 2018 à Nathalie Mauffrey et Sarah Ohana aux adresses suivantes : nathaliemauffrey@hotmail.com ; ohana.sarah88@gmail.com

Le comité scientifique informera de ses décisions le 28 février 2019.

Comité scientifique

  • Emmanuelle André, Cérilac, Université Paris Diderot - Paris 7
  • Jacques Aumont, Institut de Recherche sur le Cinéma et l’Audiovisuel (Ircav), Université Sorbonne Nouvelle - Paris 3
  • Gaspard Delon, Cérilac, Université Paris Diderot – Paris 7.                 
  • Térésa Faucon, Ircav, Université Sorbonne Nouvelle Paris 3              
  • Marie Frappat, Cérilac, Université Paris Diderot – Paris
  • François Thomas, Ircav, Université Sorbonne Nouvelle Paris 3