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Colloque : "Le corps dans tous ses états : le corps en fête dans la bande dessinée" (Angoulême)

Publié le par Université de Lausanne (Source : Denis Mellier)

Le corps dans tous ses états : le corps en fête dans la bande dessinée

 

Colloque international, les mercredi 20, jeudi 21 et vendredi 22 novembre 2019

Angoulême, CIBDI, Musée de la Bande dessinée

Les Rencontres d’Angoulême - Penser et comprendre la bande dessinée – 6e édition

 

PRÉSENTATION

Mobiles, animés, bondissants et dansants ! Les corps en liesse se laissent aller tout à leur joie. Ils bougent à l’excès, les traits et les cases contiennent avec peine leur mouvement, ils leur arrivent de dilater leur strip, de s’inviter ailleurs, voire de quitter la planche où ils avaient été assignés. Les corps explosent leurs limites, gesticulent, se tordent de rire et déforment leurs contours sous la poussée de leur énergie communicative. Les visages se fendent sous le rire, on se roule par terre, les personnages hilares s’amusent, exultent, se gondolent, chez Uderzo, Gotlib, Franquin, Mandrika et bien d’autres.

Mais la fête des corps est aussi une expérience collective où s’assemblent familles et groupes, tribus et foules : à l’occasion de bals et de carnavals, de défilés ou de procession, aux concerts, aux matchs, aux spectacles. Ce sont des lieux et tout un calendrier de rituels et de formes collectives qui organisent les expressions de la fête multiples, variées, parfois ambiguës ou incontrôlables. Ainsi, le carnaval par son énergie subversive, la puissance populaire du rire et du travestissement, selon l’analyse célèbre de Bakhtine, sous-tend la fête d’un potentiel et d’une menace proprement politiques. D’ailleurs la fête peut être sombre aussi, et les bacchanales se transformer en Sabbat, nuit des Walpurgis, danse macabre et autres fêtes noires et inversées, révélant alors tout un monde terrifiant de contre-valeurs que la liesse négative vient célébrer.

La fête relève aussi du contrôle social ou du rite d’intégration. Les charivaris, qui mobilisaient le plus souvent un groupe de jeunes gens, chantant, frappant sur toutes d’instruments, ou des enfants organisant une ronde à la lisière d’une forêt, à l’instar du manga de Maki Sasaki (2018), et le bizutage abordé dans une série comme Hell scholl, de Benoît Ers et Vincent Dugommier, donnent à la fête une singulière coloration. Dans d’autres albums, les participants finissent par se trouver un mauvais objet, et la fête dégénère, ressemble à la curée contre un personnage, devenu le bouc émissaire, dans des cris de joie. Dans Le révérend, dû à Lylian et Augustin Lebon, le « traqueur devient traqué », et les corps des poursuivants sont animés par une joie morbide à l’idée de s’emparer du corps d’Angus. Le corps festif est celui aussi du spectacle des exécutions ou de la participation à un massacre, réunissant acteurs et spectateurs. L’euphorie des vainqueurs foulant le corps des vaincus apparaît dans de nombreuses cases.

Les corps en fête sont encore ceux qui, dans Alix ou dans Astérix, participent à des orgies. Ailleurs, les scènes de ripaille et de beuveries sont présentées aux lecteurs. Les saturnales de chair et d’alcool transgressent les codes et les normes. Plus généralement, sont proposées des cases où les estomacs se gonflent et l’ivresse vient. La bande dessinée dite érotique, mais aussi de nombreuses cases enclavées dans des récits qui ne sont pas faits une spécialité des corps entremêlés et des perversions sexuelles, assurent le sacre de la fête amoureuse et sensuelle, comme dans L’ivresse du poulpe (2016 pour la deuxième édition) où le corps du personnage féminin, Jeanne Picquigny, est empli de tentacules et connaît l’extase.

Le corps en fête est également celui qui se transforme, passe d’un état à un autre, comme plusieurs des personnages de The Avatar and the Chimera (1978) ou de ceux croisés par Philémon. La couleur criarde, à la manière d’Alberto Breccia, y aide. L’activité onirique autorise toutes sortes de transformations corporelles et festives. La vie quotidienne, constituée de moments successifs, connaît des instants d’allégresse. La série des Déblok de Florence Cestac, en particulier Poilade de Déblok aux éclats de rire (1 997), l’atteste. Dans L’Hiver du dessinateur, de Paco Roca, vingt-deux cases continues célèbrent, au moment du déjeuner, la fête du corps et de l’esprit. Les sociabilités festives, profanes et banales, sans autre visée que de se retrouver, ne sont pas ignorées.

Les fêtes religieuses et les fêtes païennes organisent le corporel, par le biais de liturgies, de cérémonies, de processions. Les Fêtes himalayennes (2019), les costumes des Picaros, les divertissements des Sélénites, que les héros de Cape et de crocs rencontrent sur le satellite de la Terre, en constituent quelques exemples. Il ne faudrait pas oublier les fêtes officielles où les corps disciplinés sont appelés à se mouvoir. Nulle transgression n’est tolérée, si ce n’est l’exultation des spectateurs en guise d’adhésion. L’instrumentalisation de la fête dans les régimes autoritaires ou totalitaires est très éloignée des manifestations ludiques. L’événement festif ne tolère pas l’écart. Une bande dessinée, signée Ulysse Gry et Gaspard Gry, publiée par Presque Lune, met en scène un coup d’État dans un monde peuplé de pièces d’échecs. Une tour noire organise un grand rassemblement dans une cathédrale, il s’agit de « trouver la force de marcher droit sur le grand échiquier ».

Le corps fait la fête, il s’éclate au point que c’est un discours graphique protéiforme qui qualifie cette expression du sujet euphorique ou hystérique dans la bande dessinée et que l’on se propose d’analyser à l’occasion de ce colloque. Cette 6e édition des Rencontres d’Angoulême. Penser et comprendre la bande dessinée intéresse, dans une perspective résolument pluridisciplinaire, l’historien comme l’esthéticien, le sociologue comme le sémioticien, l’historien de l’art comme le psychologue, l’anthropologue comme le philosophe… et invite autour de l’étude d’auteurs, d’albums et de séries, de périodes et de genres (comics, mangas, roman graphique) à examiner toute la fécondité du thème des expressions du corps en fête dans la bande dessinée.

Pour traiter du corps festif, trois entrées sont à privilégier. Sans doute faut-il prêter une attention particulière aux lieux. Des espaces semblent plus propices pour accueillir les corps en fête, la salle de banquet antique, la taverne, le saloon, la salle de réception, l’avenue attendant une parade, le parc où un feu d’artifice va être tiré, le festival où les corps se déhanchent et s’exhibent... Il convient également de s’attacher aux personnages. En effet, si le roman visuel de Martin Vaughn-James La Cage (1975 et 1986) a procédé à « l’élimination du personnage », un dessinateur comme Miguel Egaña, à la manière d’un prestidigitateur, fait disparaître le décor. Le mobilier, les rues et les immeubles sont escamotés. Le corps des personnages y est souvent à la fête. L’un d’eux, affublé d’ailes, semble suspendu dans les airs, il promène en laisse un animal de compagnie qui n’est autre qu’une poule. De la sorte, dans certains romans graphiques la tentation est manifeste de conter et d’imaginer de nouvelles formes de corps festifs que l’on retrouve aussi bien chez Winsor McCay que dans l’œuvre de Moebius. Après le cadre, après les acteurs de la fête, il sera opportun de s’arrêter sur les circonstances festives. Les Rigoles, de Brecht Evens, aquarelles enjouées et mouvantes, reflets de la situation et des états d’âme, sont une sorte d’ode désenchantée à la fête : comment s’amuser dans la nuit parisienne au gré des rencontres. Les corps s’agitent, expérimentent, s’immobilisent, se perdent dans une double page.

Les rencontres d’Angoulême sont co-organisées par l’Université de Poitiers (MSHS, Criham, Forellis….), la Cité Internationale de la bande dessinée et de l’image, le Pôle Image Magelis, avec la participation de l’École Européenne Supérieure de l’image, du CPER Insect, du Grand Poitiers, du Grand Angoulême et de la Région Nouvelle-Aquitaine.

Les propositions de communications (1500 signes) et une courte notice bio-biblio (500 signes) sont à adresser, avant le 29 avril 2019, à Frédéric Chauvaud frederic.chauvaud@univ-poitiers.fr et à Denis Mellier denis.mellier@univ-poitiers.fr.

Les organisateurs prennent en charge les nuitées, les repas, les frais d’inscription et la publication des actes sous la forme d’un véritable livre.