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Le devoir de mémoire dans la littérature camerounaise. Linéaments pour une textualisation des politiques du pardon

Le devoir de mémoire dans la littérature camerounaise. Linéaments pour une textualisation des politiques du pardon

Publié le par Marc Escola (Source : Albert Jiatsa Jokeng)

Le devoir de mémoire dans la littérature camerounaise:

linéaments pour une textualisation des politiques du pardon

 

 À l’heure où les sensibilités patriotiques sont exacerbées au Cameroun par un certain nombre de contingences socio-historico-culturelles dont les conséquences planent sur le ciel de notre alma mater comme un linceul, où les sujets importants sont curieusement voués à la procrastination, il devient de plus en plus urgent pour les chercheurs de s’interroger sur les mécanismes de pacification et de détente sociale. En dehors de certains membres de la société civile et de la doxa qui estiment que le climat social  est « pollué », personne, que ce soit du côté civil comme de celui du gouvernement ne propose un réel programme d’implémentation d’une politique du vivre-ensemble[1]. Pourtant, dans les nations qui ont eu une histoire semblable à la nôtre, c’est-à-dire ponctuée de guerres d’indépendances, des racismes et ségrégations, des génocides, des holocaustes et autres crimes odieux, la mise en place des politiques du pardon a contribué à pacifier toutes les sensibilités.

Si la politiques publique à qui revient la charge de conduire la société est donc faillible, il revient aux écrivains et aux chercheurs, vrais « demiurges » dont certains sont talentueux et célèbres, de recréer des conditions idoines pour la mise en place de ces politiques. Mongo Beti a sonné la charge avec la trilogie consacrée à Ruben Um Nyobe : Remember Ruben (1974), Les deux mères de Guillaume Ismaël Dzewatama, futur camionneur (1983), La revanche de Guillaume Ismaël Dzewatama (1984). De même que Were-Were Liking (La colère de Um et La mémoire amputée), Gilbert Doho et Bole Butake (Zingraff and The battle of Mankkon),, Gibert Doho (Le chien noir,2013, La cicatrice 2014) ou Nganang (La saison des prunes et Empreintes de crabe), Anne Debel (Le Cameroun aujourd’hui), Rabiatou Njoya (La reine captive), Thomas Deltombe, Manuel Domergue et Jacob Tatsita, (La guerre du Cameroun : l’invention de la françafrique), Abraham Sighoko Fossi, (Mon père s’appelait Fossi Jacob : itinéraire d’un martyr de l’indépendance du Cameroun,) Kolyang Dina Taïye (Maïye), Louise Mekah Fossi, (Les profondes blessures d’une chute),  Pierre Fandio et Mongi Adini, (Figures de l’histoire et imaginaire au Cameroun),  Hemley Boum (Les maquisards), etc.

 Après la seconde guerre mondiale, la Shoah développée d’abord en France et ensuite dans toute l’Europe a participé à la consolidation de l’unité de la nation juive. On a également vu des sédiments d’un tel courant de pensée en Afrique du sud post-apartheid ou bien au Rwanda post-génocide. Au Cameroun qui a subi la guerre d’indépendance de 1956 à 1971 (date de l’exécution d’Ernest Ouandié) et, plus récemment, bien que d’un autre domaine, les attaques multiformes de Boko Haram dans la Région de l’Extrême-nord et de celles des séparatistes des deux régions anglophones, rien ne semble avoir été mis en place pour promouvoir le pardon ; pourtant Gilbert Doho (2013) avait déjà théorisé la « confession publique » par l’épreuve du chien noir. Bien qu’une telle proposition ait été faite dans un roman et dans un autre esprit (Il ne s’agissait nullement pour le dramaturge de promouvoir les politiques du pardon), aucune tentative d’expérimentation n’a été faite dans une société où les clivages, les stéréotypes, le tribalisme renforcent une « douce haine » entre les peuples. On peut se poser la question de la responsabilité de la personne ou des institutions chargées de proposer une telle politique. En réalité, on peut le comprendre, la mise en place d’une telle politique requiert un dispositif particulier : la reconnaissance et l’identification des torts et des griefs, les victimes et les coupables, les motifs et les symboles, les instances de légifération, la déclassification des dossiers. Cela suppose donc de considérer ce devoir de mémoire et cette politique  du pardon comme des thèmes au sens Brunelien[2](1996) du terme. En un mot réécrire la vraie histoire du Cameroun, pour en faire une « conscience nationale » (Jiatsa, 20, p.135), un sujet de préoccupation et d’intérêt pour tous les Camerounais : quel peuple ou communauté ou individu a subi quel grief, quelle catastrophe, quelle frustration ? Quels en sont les causes ? Quelles solutions ont-elles été proposés ? On peut, sans être exhaustif, citer :

  • Le 5 decembre 1988 avec la tragédie de l’institut polyvalent Monhé à Yaoundé;
  • Le genocide  des bamiléké et des bassa peu après l’indépendance du Cameroun;
  • Les exclaves vendus ( environ deux millions cinq cent mille selon J.D. Fage) au port négrier de Bimbia ainsi que ses sites associés (Nichols Island, Manoka, Rio del Rey, Bota, Camp saker, Bafut, Bawock, Bamendjida, Laapu de Bangou, Foumban etc
  • Le crash feroviaire  de l’intercity du 21octobre 2016 à Eseka; celle de Nsam Efoulan (200 morts), de Youpwe (69morts), de Mbanga Mpongo (114 morts) du lac Nyos(2000 morts), l’exploision de la SCDP à Douala avec près de 200 morts etc.

Pour Labelle M., Antonius R., Leroux G. (2005, p.12), Le thème de la mémoire et du pardon s’inscrit dans la remise en question des conceptions étroites de la nation et de la citoyenneté véhiculées par les sociétés coloniales et postcoloniales du Nord et du Sud, remise en question spectaculaire qui a marqué les dernières décennies. Ces conceptions de la citoyenneté mettent au-devant de la scène un nouveau devoir de justice qui s’adresse au passé et interpelle toutes les sociétés désireuses de remettre en question les relations de domination issues du colonialisme, en commençant par identifier et reconnaître l’impact des torts causés et leurs séquelles actuelles.

Si la mémoire a toujours accompagné les réflexions, la notion de « politiques du pardon » a récemment fait une entrée fracassante dans le champ heuristique. Empruntée à l’ouvrage de Sandrine Lefranc (2002), les politiques du pardon renvoient à un ensemble de discours, d’actes et de dispositifs politiques, sociaux et institutionnels (réparations d’ordre symbolique, restitutions matérielles, réhabilitations etc.) et elles mettent l’accent sur la justice et la reconnaissance de la dignité des acteurs politiques et/ou sociaux qui ont subi directement ou indirectement d’une manière ou d’une autre la violence d’État ou en représentent les cibles (crimes de masse, assassinats politiques, torture, génocides, rébellions, insurrections, attentats terroristes) et sur le droit à la vérité.

 La littérature camerounaise depuis ses origines à nos jours s’est constituée comme un support privilégié de la cause sociale. Comment les écrivains et oralistes traitent-ils ce thème du devoir, de la mémoire et du pardon ? Leurs orientations sont-elles à même de stabiliser et de réconcilier la société camerounaise à l’heure actuelle?

Les propositions de communication pour cet ouvrage collectif pourront exploiter les axes (non exhaustifs) suivants :

  • Littérature camerounaise et lieux de mémoire;
  • Littérature camerounaise et devoir de mémoire;
  • Littérature et médiations (Communication interculturelle ou interculturalité, multiculturalité, médias, clichés et stéréotypes, etc.)
  • Les figures historiques dans la littérature camerounaise;
  • Les reliques et autres objets sacrificiels;
  • La mémoire des écrivains disparus
  • La littérature de revendication nationale;
  • Littérature, tribalisme et tribalité;
  • Littérature et conscience nationale;
  • Littérature et réparations d’ordre symbolique, restitutions matérielles, rehabilitations;
  • Littérature et crimes de masse, assassinats politiques, torture, génocides, rebellion, insurrection, attentats terroristes;
  • Littérature et promotion du vivre-ensemble;
  • Littérature et pardon;
  • Etc…

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Dates importantes

15 mai 2019 : Réception des résumés des propositions ;

30 mai 2019 : Notification aux contributeurs ;

30 juillet 2019 : Réception des contributions ;

30 septembre 2019: Retour des expertises et corrections multiples

Janvier 2020 : Publication de l’ouvrage

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Adresses

Les propositions de communication accompagnées d’une brève notice bio-bibliographique sont à adresser conjointement avant le 15 mai 2019 à Albert Jiatsa Jokeng (jiatsajiokeng_al@yahoo.fr), Carole Njiomouo Langa (ncnjio@yahoo.fr) et Daniel Houli (ihuld@yahoo.fr).

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Références

Amabiamina, F., Njiomouo Langa, C., (2017), Traversées culturelles  et traces mémorielles en Afrique noire, Yaoundé, Presses Universitaires d’Afrique.

Brunel P., Pichois C., Rousseau A.-M., (1996) Qu’est-ce que la littérature comparée, Paris, Armand Colin

Doho, G., (2013), Le chien noir : la confession publique au Cameroun, Paris, L’Harmattan.

Jiatsa Jokeng, A. (2015), « Au commencement était Main basse sur le Cameroun. De l’essai historique à la construction d’une conscience nationale » in Adama Samaké, Mongo Beti, une conscience universelle, Tome 2, Paris, Publibook.

Jiatsa Jokeng, A., Tatuébou, D. Z. (2016) « Le crânisme dans la dramaturgie de Gilbert Doho: entre pratiques médiumniques et devoir de mémoire », Les Cahiers du GRELCEF. URL : www.uwo.ca/french/grelcef/cahiers_intro.htm No 8. 

Labelle M., Antonius R., Leroux G. (dir) (2005) Le devoir de mémoire et les politiques du pardon. Actes du colloque tenu à l’Université du Québec à Montréal en octobre 2004, Sainte-Foy, Presses de l’Université du Québec, 2005.

Lefranc, S., (2002). Politiques du pardon, Paris, Presses Universitaire de France.

Tjosvold, D., Hodgson, J. (1994), Techniques de négociation et gestion de conflits.PDF.

 

[1] La récente Commission du Bilinguisme et du multiculturalisme lancée par le gouvernement camerounais peine à montrer les fruits, à cause de sa conception. En effet, comme le notent Jiatsa et Njanjo (2017, p.77), « on constate au Cameroun, comme partout ailleurs dans les États démocratiques ou qui se veulent démocratiques (même occidentaux), les limites de cette politique multiculturaliste : comment concilier droits individuels et droits collectifs (droits des particuliers – chose assez rare d’ailleurs – et droits des groupes communautaires), principes universalistes et principes particularistes, politique de droit commun et traitement différencié, différence et égalité, identification à la communauté politique nationale et identification à la communauté culturelle, etc. ? Le risque majeur est l’accentuation des particularismes, des replis identitaires, des stéréotypes et des clichés ». Pour dire simple, le Cameroun n’avait pas besoin de cette commission puisqu’ il est un état multiculturel de fait. Il aurait fallu une politique interculturelle ou imagologique dont la finalité aurait été de définir et de renforcer les relations entre les sensibilités culturelles disparates.

[2] Il a déclaré : « La thème est un sujet d’intérêt général pour l’homme »