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Quelle place pour la culture des élèves en classe de français ? (Le Français aujourd'hui, n° 207)

Quelle place pour la culture des élèves en classe de français ? (Le Français aujourd'hui, n° 207)

Publié le par Romain Bionda (Source : revue Le Français aujourd'hui)

La lecture et l’étude des œuvres classiques ou patrimoniales sont aux fondements de la discipline françaisdans l’enseignement primaire ou secondaire, général ou professionnel. Il peut donc sembler difficile d’accorder une place, même minime, aux œuvres qui ne font pas partie de ce vaste corpus, fonds commun de la culture scolaire française (Forquin 1996 ; Jey 1996 ; Chervel 1998 ; Houdart-Mérot 1998 ; Bishop-Belhadjin 2015 ; Denizot 2018, Louichon 2015…).Mais de quelles œuvres parle-t-on alors ?Uneétiquette générique, comme celle de paralittérature, n’est pas la meilleure pour regrouper ces œuvres qui peuvent ne pas ressortir à la fiction écrite. En effet, tout comme les romans de genre, les films, les séries, les BD, les mangas, les fanfictions, les blogs, les chansons, voire les jeux vidéos, peuvent en effet avoir pour point commun d’être étudiés en classe tout en étant à la marge du corpus littéraire classique ou patrimonial. C’est donc plutôt sous l’étiquette plus large de culture juvénileque nous subsumerons ce vaste ensemble. La question de la culture a été déjà largement arpentée en sociologie. Les sociologues A. Mattelart et E. Neveu notent ainsi que :

La notion de culture est de celles qui ont suscité en sciences sociales les travaux les plus abondants, les plus contradictoires aussi. Le terme peut tantôt désigner un panthéon de grandes œuvres « légitimes », tantôt prendre un sens plus anthropologique, pour englober les manières de vivre, sentir et penser propres à un groupe social (Cuche 1996). La Joconde et la sociabilité qui se greffe sur l’assistance à un match de football illustreraient ces deux pôles. L’idée d’une culture « légitime » implique aussi une seconde opposition, cette fois entre les œuvres consacrées et celles de ce qu’on a nommé « culture de masse », produite par les « industries culturelles ». Proust contre Mary Higgins Clark, Chostakovitch contre les chansons de Michael Jackson. (2008 : 3)

L’idée d’opposition sous-tendue dans cette citation s’étend également à la culture juvénile : parler de culture des jeunes pour penser la culture non-scolaire, en opposition à la culture légitime, n’est pas forcément satisfaisant, ne serait-ce que parce que le syntagme ne rend pas compte de la diversité et des groupes, et des âges, et des gouts… Pour A. Barrère et F. Jacquet-Francillon : 

Lorsque l’école, les enseignants et, au-delà d’eux, les chercheurs en éducation perçoivent ou s’interrogent sur les propriétés sociales et culturelles des élèves, ils les associent aux classes sociales dont proviennent ces derniers – et ce sont alors les enfants des milieux populaires qui retiennent l’attention pour ce qu’ils constituent les « nouveaux publics », entrés en masse dans l’enseignement secondaire après les grandes réformes de la VeRépublique. Mais il arrive aussi qu’on attache les caractéristiques des élèves à la classe d’âge qui est la leur, celle des « jeunes » ; et dans ce cas on fait abstraction, du moins en première approche, des divisions et des conflits existant à l’intérieur de cet ensemble certes divers et complexe. En objectivant ainsi une « classe » ou un « peuple » adolescent, expression qui ajoute à la dimension sociologique du phénomène une dimension anthropologique, on prend acte de ce qu’en effet la société et l’éducation modernes ont constitué la jeunesse en une véritable catégorie, nouvelle venue dans la morphologie sociale, et qu’il convient plutôt de qualifier de groupe générationnel. (2008 : 5)

Quoi qu’il en soit, la question de la culture juvénile, abordée sous un angle didactique et non du point de vue sociologique ou culturel, ne parait guère prise en compte en cours de français : soit ignorée, soit reléguée au rang de sous-culture, il n’est pas habituel de s’interroger sur ses usages ou son éventuel intérêt. Quant aux ouvrages didactiques, ils semblent s’intéresser au mieux aux « mauvais genres », écrits surtout. Regroupant des genres romanesques considérés comme illégitimes tels le polar, la science-fiction, la fantasy, voire le roman sentimental dans ses divers avatars, bit-lit, chick-lit, ou sick-lit, cette appellation de « mauvais genre » a pu connaitre une certaine fortune en didactique. Ainsi, en 1986, la revue Pratiquespropose un numéro sur le thème des « paralittératures », suivi, en 1987, d’un autre sur les « mauvais genres ». Pour Y. Reuter, dans l’introduction, cette succession veut « montrer l’importance de ces textes non reconnus, introduire aux recherches théoriques qui les pre[nn]ent en compte, souligner leur intérêt pédagogique ». 

En 2007, lorsque parait chez Diptyque Les mauvais genres en classe de français. Retour sur la question, l’introduction de J.-M. Rosier semble faire écho à celle de Pratiquesvingt ans plus tôt en soulignant le chemin parcouru et une préoccupation constante à l’école pour désormais intégrer ces écrits peu légitimes : « aujourd'hui, travailler en classe les mauvais genres ne relève pas d’une pratique innovante à l’exception des écrits d’Internet absents naguère du capital scolaire exploitable […]. L’histoire de la discipline montre en effet que l’école peut transformer bien des objets culturels en savoirs d’apprentissage et en montrer l’intérêt pédagogique ».

La revue LeFrançais aujourd'hui n’a, quant à elle, réfléchi aux mauvais genres dans un dossier que dans un numéro sur « Les risques du polar » (2002), sans se poser encore la question des cultures juvéniles et de leur place en didactique hormis un articlede P. Bruno, paru dans la chronique « Culture Jeunes » en 2006. C’est d’autant plus notable que la liste des numéros parus depuis le début des années 1970 fait apparaitre une préoccupation constante de la revue d’inscrire l’enseignement du français dans le contexte mouvant d’une société en pleine évolution. Égrenons ainsi, presque au hasard : Propositions pour une rénovation de l’enseignement du français (1970) ; Le français dans le technique (1972) ; Les langues des français (1976) ; Fenêtres sur la presse (1979) ; Les enjeux sociaux de l’enseignement du français (1982) ; Le français au carrefour des disciplines (1986) ; et très récemment les deux numéros sur les écritures numériques (2017 et 2018)…

Aujourd'hui, la question des « mauvais genres », qui met l’accent sur la question du genre dans une acception trop axiologique, peut être élargie pour scruter « l’univers culturel » (Donnat 1994) des élèves, qui consacre l’importance, certes, des « mauvais » genres romanesques mais aussi de formes et de médias comme les genres graphiques, tels que la BD, le manga ; ou visuels, comme les films, les séries, voire les jeux vidéo ; la musique comme le slam ou le rap ; les diverses formes de l’expression numérique comme les blogs, les réseaux sociaux, les tutoriels…  

Ce numéro du Français aujourd’huia donc l’intention d’ouvrir largement la réflexion sur ce sujet et pour ce faire le syntagme de culture juvénilepeut nous aider à mieux appréhender cet ensemble en s’intéressant à l’ensemble d’œuvres fréquentées par les jeunes en dehors de l’école, sans connotation péjorative. Nous nous intéresserons ainsi aux contributions sur les œuvres de la culture juvénile étudiées à l’école ou qui questionnent les enjeux qui peuvent s’y attacher. 

Trois axes sont ainsi proposés :      

-     Qu’est-ce qu’étudier les cultures juvéniles à l’école ? Quelles formes, quel sens ? 

-     SI elles sont présentes dans les classes, quels en sont les usages ? Comment sont-elles scolarisées ? Quelles pratiques de classes ? 

-     En quoi l’étude des œuvres issues de la culture juvénile à l’école modifie-t-elle l’ensemble littéraire et sa relation aux autres arts ? C'est-à-dire comment cette scolarisation peut-elle modifier la manière dont l’école appréhende la littérature et comment se redéfinissent les frontières par rapport aux autres formes artistiques ? 

La proposition d’article est à envoyer aux deux coordinatrices pour le 20 septembre 2018, dans un format ne dépassant pas une page ; titre, coordonnées institutionnelles (éventuellement programme de recherche en rapport), références bibliographiques et mots-clés compris.

CALENDRIER

Appel à contribution : juillet 2018

Date limite pour la réception des propositions : 20 septembre 2018

Réponse aux propositions : 15 octobre 2019

Première version pour évaluation : 30 avril 2019

Version définitive après évaluation : le 20 juin 2019

Parution : 20 décembre 2019

Références bibliographiques

BARRÈRE, A. & JACQUET-FRANCILLON, F. (2008). La culture des élèves : enjeux et questions. Revue française de pédagogie163, 5-13.

BISHOP, M.-F. & BELHADJIN, A. (dir.) (2015). Les Patrimoines littéraires à l’école : tensions et débats actuels. Paris : Honoré Champion. 

BRUNO, P. (2006). Pratiques culturelles et « classes » sociales : les sociologies des pratiques culturelles juvéniles. Le français aujourd'hui153, 93-98.

CHERVEL, A. (1998). La Culture scolaire. Paris : Belin.

DENIZOT, N. (2018). La Culture scolaire : perspectives didactiques. Thèse d’Habilitation à diriger des recherches. Université de Lille.

DONNAT, O. (1994). Les Français face à la culture : de l’exclusion à l’éclectisme. Paris : La Découverte. 

FORQUIN, J.-C. (1996). École et culture : le point de vue des sociologues britanniques. Bruxelles : De Boeck.

HOUDART-MÉROT, V. (1998). La Culture littéraire au lycée depuis 1880. Rennes : Presses universitaires de Rennes. 

JEY, M. (1996).La littérature au lycée, l’invention d’une discipline, 1880-1925.Metz : Centre d’études linguistiques des textes et des discours, coll. « Recherches textuelles ».

LE FRANÇAIS AUJOURD'HUI (2002). « Les Risques du polar »138. Paris : AFEF.

LOUICHON, B. (2015). Le patrimoine littéraire : du passé dans le présent. InM.-F. Bishop et A Belhadjin, (dir.), Les Patrimoines littéraires à l’école : tensions et débats actuels. Paris : Honoré Champion. 

MATTELART, A. & NEVEU, E. (2008) « Introduction ». Introduction aux cultural studies. Paris : La Découverte. 

PRATIQUES(1986). Les Paralittératures50. Metz : CRESEF.

PRATIQUES (1987). Les Mauvais genres, 54. Metz : CRESEF.

ROSIER, J.-M. (dir.) (2007).Les mauvais genres en classe de français ?Retour sur la question. Namur : Diptyque n° 9.