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Le style comme événement (Cahiers de Narratologie, n° 34)

Le style comme événement (Cahiers de Narratologie, n° 34)

Publié le par Arnaud Welfringer (Source : Marie-Albane Watine)

Appel à contributions

Cahiers de Narratologie, n° 34

Le style comme événement

(M.A. Watine et I. Yocaris dir.)

 

Dans ce numéro des Cahiers de narratologie, nous nous proposons d’élaborer une synthèse théorique portant sur le concept de « style littéraire », en articulant celle-ci autour du concept d’événement.

Cette proposition s’inscrit dans le large mouvement de « retour de  l’événement » (Ricœur 1992)  que l’on a pu observer au sein des sciences humaines : la linguistique énonciative ouvrait la voie dès les années 1960 en considérant notamment que l’énoncé performatif est « événement parce qu’il crée l’événement » (Benveniste, 1963 : 273). Dans l’analyse du discours, le retour de l’événement, d’abord situé autour de la notion foucaldienne d’« événement discursif » (Foucault 1969), s’observe actuellement dans de nombreux travaux sur la sémantique et la désignation de l’événement dans des corpus médiatiques (Calabrese 2013, Londei et al 2013). En histoire, sous l’influence de l’analyse du discours (Guilhaumou 2007), cette « renaissance » s’est fondée sur « une relation essentielle entre langage et événement » (Dosse 2010 : 173). Parallèlement la philosophie se saisit de l’événement, dans une perspective ontologique (Badiou 1988), phénoménologique et herméneutique (Ricœur 1992, Romano 1988, Marion 2010) et le relie à une redéfinition du sujet de l’expérience. Les études littéraires, elles, se penchent plutôt, depuis les années 2000, sur le récit de l’événement et sa poétique (Alexandre et al. 2004, Acquier et Merlo 2012).

Simultanément, le concept d’émergence, apparu depuis une vingtaine d’années dans un large corpus interdisciplinaire (cf. p. ex. Varela et al. 1993, Humphreys 1997, Bedau & Humphreys dirs 2008), commence à être exploité de façon féconde dans les sciences du langage (Badiou-Monferran & Ducos dirs 2012), mais son exploitation en stylistique reste cependant marginale.

L’événement, étymologiquement, c’est « ce qui arrive ». Concevoir le style comme événement suppose de ne pas l’envisager comme un objet d’étude statique, comme un état, mais comme un processus, quelque chose qui survient dans un contexte donné, avant, pendant ou après la création d’une œuvre d’art verbal. Penser des événements de style, à la place de ou à côté des faits de style, relève d’une approche à la fois dynamique et contextuelle ; car l’événement est aussi ce qui nous arrive, ce qui invite à le penser comme un « objet contextuel », une entité qui dépend constitutivement du contexte observationnel au sein duquel il émerge et du point de vue que l’on projette sur elles (cf. Bitbol 1996, 1998). Comme le souligne effectivement Marc Bonhomme, « le style n’existe pas en soi, mais il s’agit toujours du style de X aux yeux de Y » (Bonhomme 2008 : 1492).

 L’approche événementielle du style littéraire invite à évaluer les traits micro- ou macro-textuels pertinents au regard, notamment, des cinq critères définitionnels que nous proposons tout en appelant à les discuter ou les réévaluer :

  • Imprévisibilité : l’événement s’annonce avec une absolue nouveauté, dans la mesure où il semble inexplicable à partir des possibles qui lui préexistent.
  • Sur-signification : l’événement, bien que déjouant toute attente, est perçu comme particulièrement signifiant.
  • Rupture : l’événement représente un tournant radical dans l’expérience : « après le surgissement de l'événement, ce ne sera plus jamais comme avant » (Romano 1998 : 62).
  • Intensité : l’événement suppose une intensité dans l’ordre émotionnel, esthétique, intellectuel, qui dépasse le ressenti d’une simple surprise.
  • Adresse : l’événement est ce qui arrive à quelqu’un, sollicite son attention, ses ressources cognitives ; au-delà, il l’institue comme un sujet particulier, celui à qui arrive l’événement, et qui y répond – voire même celui qui advient par l’événement.

 

On pourra, sans exclusive, proposer des contributions touchant aux questions suivantes :

  • Niveau textuel : Qu’est-ce qui fait événement dans le texte ? Peut-on assigner à l’événement un certain nombre de caractéristiques formelles, linguistiques ? Si l’on admet que le style littéraire découle d’interactions complexes entre les différentes composantes d’un texte donné, les genres et/ou les mouvements littéraires, le contexte énonciatif, le cadre sociologique et historique dans lequel s’inscrit la démarche de l’énonciateur (cf. Goodman 1968, 1978, Riffaterre 1979, 1983, Rastier 1989, 1994, 1996, 2001, Bonhomme 2005), quels types d’interactions spécifiques peuvent ici être identifiés ?
  • Niveau de la réception : dans une approche événementielle, le style peut-il être, au moins en partie, caractérisé par des spécificités textuelles objectivables, ou relève-t-il uniquement de la manière dont le lecteur appréhende les composantes textuelles, en les inscrivant dans une durée temporelle (cf. Jaubert 1990, 2007) et en choisissant de les rattacher à des valeurs stylistiques de toutes sortes (cf. Yocaris 2016) ? Pour le dire en termes philosophiques, relève-t-il davantage de l’ontologie (Badiou) ou de la phénoménologie et de l’herméneutique (Romano) ?  Quels sont les ressorts cognitifs à l’œuvre dans l’effet d’intensité attentionnelle ?
  • Niveau historique : Quand peut-on dire qu’une œuvre, qu’un style fait événement dans l’histoire littéraire ? Peut-on articuler théoriquement l’imprévisibilité de l’événement, son caractère hors-cause, hors-série, avec l’historicisation des « patrons » stylistiques (Philippe et Piat 2009) ?
  • Niveau métathéorique : le style littéraire donnant lieu à des réflexions qui émergent dans des cadres conceptuels et historiques différents, et dont la confrontation fait ressortir des traits définitionnels extrêmement divers (cf. Bordas 2008), peut-on penser la théorie stylistique en termes événementiels ?

On attend de ces approfondissements qu’ils nous aident à « [p]enser la notion de style de manière unitaire tout en tenant compte de la diversité de ses manifestations » (Vouilloux 2000 : 877) : cette diversité avait jusqu’ici découragé certains spécialistes, pour qui « [l]a pensée du style aujourd’hui nous enferme en vérité dans une série de contradictions » (Noille-Clauzade 2004 : 15). Il faut donc réévaluer à l’aune de cette vision dynamique les couples oppositionnels couramment utilisés actuellement pour rendre compte du travail de stylisation dans toute sa complexité (aspect intentionnel vs aspect attentionnel, continuité vs discontinuité, globalité vs localité, démarche collective vs démarche singulière, description vs interprétation etc.). Les contributions attendues doivent permettre d’apporter sur tous ces points des approfondissements bienvenus.

 

Références bibliographiques

Acquier, Marie-Laure & Merlo, Philippe dirs (2012) : La Relation de la littérature à l'événement, XIXe-XXIe siècles, Paris, l'Harmattan.

Alexandre, Didier, Frédéric, Madeleine, Parent, Sabrina & Touret, Michèle dirs (2004) : Que se passe-t-il ? Événements, sciences humaines et littérature, Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. « Interférences ».

Badiou, Alain (1988) : L’Être et l’événement, Paris, Le Seuil.

Badiou-Monferran, Claire & Ducos, Joëlle dirs (2012) : L’Émergence : un concept opératoire pour les sciences du langage ?, L’Information grammaticale, 134.

Bedau, Mark A. & Humphreys, Paul dirs (2008) : Emergence. Contemporary Readings in Philosophy and Science, Cambridge (Mass.)/Londres, MIT Press, coll. « A Bradford book ».

Benveniste, Émile (1966) : Problèmes de linguistique générale, Paris, Gallimard.

Bitbol, Michel (1996) : Mécanique quantique. Une introduction philosophique, Paris, Flammarion, coll. « Nouvelle Bibliothèque Scientifique ».

(1998) : L’Aveuglante proximité du réel, Paris, Flammarion, coll. « Champs ».

Bonhomme, Marc (2005) : Pragmatique des figures du discours, Paris, Champion, coll. « Bibliothèque de grammaire et de linguistique ».

(2008) : « Pour une intégration modulaire de la stylistique dans une linguistique de l’écrit », in Jacques Durand et al. dirs, Congrès Mondial de Linguistique Française, Paris, Institut de Linguistique Française, p. 1491-1495, http://dx.doi.org/10.1051/cmlf08327.

Bordas, Éric (2008) : « Style » : un mot et des discours, Paris, Kimé, coll. « Détours littéraires ».

Calabrese, Laura (2013) : L’Événement en discours. Presse et mémoire sociale. Académia-L’Harmattan, coll. « Science du langage. Carrefours et points de vue », Louvain-la-Neuve.

Foucault, Michel (1969) : L’Archéologie du savoir, Paris, Gallimard.

Goodman, Nelson (1968) : Languages of Art. An Approach to a Theory of Symbols, Indianapolis/New York/Kansas City, Bobbs-Merrill.

(1978) : Ways of Worldmaking, Indianapolis, Hackett.

Guilhaumou, Jacques (2006) : Discours et événement. L’histoire langagière des concepts, Besançon, Presses Universitaires de Franche-Comté.

Herschberg-Pierrot, Anne (2005) : Le Style en mouvement : littérature et art, Paris, Belin, coll. « Belin-Sup / Lettres ».

Humphreys, Paul (1997) : « How Properties Emerge », Philosophy of Science, 64, 1, pp. 1-17.

Jaubert, Anna (1990) : La Lecture pragmatique, Paris, Hachette, coll. « Supérieur / Université - Linguistique ».

(2007) : « La diagonale du style », in Rabatel & Petitjean dirs 2007 : 47-62.

Londei, Danielle, Moirand, Sophie, Reboul-Touré, Sandrine & Reggiani, Licia dirs (2013) : Dire l'événement : langage mémoire société,  Paris, Presses Sorbonne nouvelle, 2013.

Marion, Jean-Luc (2010) : Certitudes négatives, Paris, Grasset.

Molinié, Georges & Cahné, Pierre dirs (1994) : Qu’est-ce que le style ?, Paris, PUF, coll. « Linguistique nouvelle ».

Noille-Clauzade, Christine (2004) : Le Style, Paris, Flammarion, coll. « GF / Corpus Lettres ».

Philippe, Gilles & Piat, Julien dirs (2009) : La Langue littéraire. Une histoire de la prose en France de Gustave Flaubert à Claude Simon, Paris, Fayard.

Rabatel, Alain & Petitjean, André dirs (2007) : Pratiques, 135-136, Questions de style.

Rastier, François (1989) : Sens et textualité, Paris, Hachette, coll. « Supérieur / Langue, linguistique, communication ».

(1994) : « Le problème du style pour la sémantique du texte », in Molinié & Cahné dirs 1994 : 263-282.

(1996 [1987]) : Sémantique interprétative, Paris, PUF, coll. « Formes sémiotiques ».

(2001) : Arts et sciences du texte, Paris, PUF, coll. « Formes sémiotiques ».

Ricoeur, Paul (1992) : « Le retour de l’événement », Mélanges de l’École française de Rome, Italie et Méditerranée, vol. 104, n°1, p. 29-35, < www.persee.fr/doc/mefr_1123-9891_1992_num_104_1_4195>_

Riffaterre, Michael (1979) : La Production du texte, Paris, Seuil, coll. « Poétique ».

(1983) : Sémiotique de la poésie, trad. de l’américain par Jean-Jacques Thomas, Paris, Seuil, coll. « Poétique ».

Romano, Claude (1998) : L’Événement et le monde, Paris, P.U.F., « Epiméthée », 1998.

(1999) : L’Événement et le temps, Paris, P.U.F., « Epiméthée ».

Varela, Francisco, Thompson, Evan & Rosch, Eleanor (1993) : L’Inscription corporelle de l’esprit. Sciences cognitives et expérience humaine, Paris, Seuil, coll. « La couleur des idées ».

Vouilloux, Bernard (2000) : « Les styles face à la stylistique », Critique, 641, p. 874-901.

Yocaris, Ilias (2016) : Style et semiosis littéraire, Paris, Classiques Garnier, coll. « Investigations stylistiques ».

 

Calendrier

Les contributions complètes sont à remettre impérativement avant le 15 septembre 2018, à ces deux adresses :

marie-albane.watine@unice.fr

y.ilias@wanadoo.fr

 

Elles seront accompagnées d’un résumé, de cinq mots-clés et d’une bio-bibliographie de l’auteur.

Les consignes rédactionnelles de la revue sont disponibles sur cette page : http://narratologie.revues.org/653

Après examen par le comité scientifique, les auteurs seront avisés avant le 1er décembre 2018.