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Les Lectures du CRP19 : Dominique d’Eugène Fromentin (Paris 3)

Les Lectures du CRP19 : Dominique d’Eugène Fromentin (Paris 3)

Publié le par Marc Escola (Source : CRP 19)

Lectures du CRP19 – Quatrième édition

Dominique d’Eugène Fromentin.

30 juin 2018

Pour la quatrième édition des « Lectures du CRP 19 », les étudiants du séminaire doctoral ont choisi de redécouvrir, non une œuvre peu étudiée d’un auteur majeur du XIXe siècle, comme auparavant La Maison Nucingen de Balzac, Son Excellence Eugène Rougon de Zola ou La Mer de Michelet[1], mais l’unique roman d’un peintre, « œuvre deux fois solitaire[2] » selon Barthes : Dominique d’Eugène Fromentin.

« Récit très simple et trop peu romanesque[3] » en apparence, rétif aux évidences et aux classifications simples, qui oppose décidément au lecteur attentif une singulière opacité, ce roman a la particularité de susciter à intervalles réguliers la réflexion d’éminents chercheurs, mais de n’avoir pas récemment fait l’objet d’une rencontre universitaire. Le dernier colloque consacré à Fromentin s’est déroulé en 1976[4], et s’il a le mérite d’envisager l’ensemble des facettes de l’artiste – critique d’art, peintre et romancier – comme l’ont fait depuis plusieurs biographies, il ne laisse que peu de place à Dominique. De même, la plupart des ouvrages critiques, dont ceux d’une éminente spécialiste, Anne-Marie Christin, s’intéressent davantage à l’univers orientaliste de Fromentin[5].

Ce choix s’inscrit dans la continuité du programme annuel du séminaire, intitulé « Perception(s), imaginaire et savoir[6] » dont la journée constituera le point d’orgue. Le monde de Dominique, en effet, relève avant tout de l’impression, de l’attention contemplative portée au monde, et du sentiment parfois éprouvé par le héros de « [sa] vie, de sa grandeur, de sa plénitude et de son intensité[7] » : des Charentes à Paris, c’est bien Dominique lui-même qui se raconte, selon la tradition du roman confession[8].

Publié pour la première fois dans La Revue des Deux Mondes du 15 avril au 15 mai 1862, Dominique, dédié à George Sand, témoigne d’un double mouvement dans la vie de son auteur : d’abord, celui d’un retour à la France, après plusieurs voyages en Algérie et la publication d’Une année dans le Sahel (1858), ensuite, celui d’un retour sur soi, à la jeunesse charentaise vécue sous la Seconde Restauration. Roman personnel, Dominique ? C’est en tout cas la part autobiographique qui a beaucoup intéressé la première tradition critique. Roman sentimental, roman psychologique ? C’est ce que peut laisser penser le récit. L’annonce du suicide (raté) de son ami de jeunesse, Olivier d’Orsel, est en effet l’occasion, pour Dominique de Bray, chef de famille, propriétaire terrien et maire de la commune de Villeneuve qui l’a vu naître, de retracer sa vie et sa passion malheureuse pour Madeleine d’Orsel, cousine d’Olivier, en laissant une grande place à l’examen précis de ses sentiments et de sa conscience, ainsi qu’à leur intellectualisation. Pourtant, si Dominique nous présente une leçon de bonheur par le choix de la tranquillité, loin des remous de la passion, dans le « désert » provincial, celle-ci demeure profondément ambivalente,  « puisqu’il nous convie à l'oisiveté, à l'irresponsabilité, à la maison, en un mot : à la sagesse[9] ».

Au moment où L’Éducation sentimentale figure au programme de l’Agrégation 2018, il nous a semblé intéressant d’envisager sous un autre angle la « génération » dont Flaubert a voulu faire le roman. Dominique, récit à la première personne, retraçant sur le mode du souvenir les années d’apprentissage d’un jeune homme durant le deuxième tiers du XIXe siècle, années marquées par un amour impossible et obsessionnel, mais aussi par des ambitions politiques et littéraires, méritait un regard nouveau. Plus encore, il faut reconsidérer l’œuvre de Fromentin en la plaçant dans le mouvement plus général commun à divers romans, de Musset à Flaubert, d'un questionnement historique et critique. En ce qui concerne Dominique, la singulière « déshistorisation[10] » du récit romanesque n’exclut paradoxalement ni la présence de l’Histoire, ni son enseignement, fût-ce par la négativité.

Dominique n’est pas un observateur de son siècle. Le récit n’accorde que très peu d’importance aux repères temporels, lorsqu’il ne s’attache pas à les dissimuler : les lettres sont datées de l’année « 18** » ; la Révolution est un « fond commun d’anecdotes et de griefs » au coin du feu pour la société provinciale ; comme le roi (Louis-Philippe), dont Dominique et Olivier entraperçoivent le cortège par hasard dans un Paris obscur, l’Histoire semble laisser la diégèse de côté sans que le protagoniste ne s’en offusque. Le personnage-narrateur possède cette manière si particulière d’habiter le temps, qui participe d’une écriture romanesque de la durée, emblématique, par ailleurs, du roman d’analyse où l’événement a moins d’importance que ses effets sur la vie intérieure du personnage[11]. Le traitement de l’espace participe de cette distanciation. Les lieux traversés, s’ils ont une existence toponymique – Les Trembles, Villeneuve, Ormesson, Paris – sont avant tout définis par leur platitude, indice de leur peu de teneur diégétique. L’étendue vide autorise ainsi toutes les projections et toutes les symbolisations, les descriptions se muant en paysages–états d’âme, qui tautologiquement redoublent le sens du récit[12]. Dominique, pris dans les reflets que lui renvoient les paysages, prisonnier de l’image que lui retournent ses doubles de papier, ou ses repoussoirs, comme son précepteur moraliste, Augustin, comme son ami dandy, Olivier, captif obstiné, enfin, d’un amour chimérique, est ce personnage qui s’absente du monde sans qu’on ne puisse dire clairement si c’est là le signe d’un échec, la preuve d’une résignation, la leçon d’une sagesse mélancolique, ou une objection lancée contre les nouvelles valeurs du siècle.

Alors Dominique, dernier roman romantique malgré ses traits antiromantiques, comme l’avance Pierre Barbéris ? Ou selon Philippe Dufour, roman de la désillusion et de la médiocrité, procédant à la liquidation du romantisme ?

Relire le texte de Fromentin, c’est donc se proposer d’affronter un objet fuyant, qui suscite, par sa complexité, la réflexion et l’interprétation. Toute approche thématique, comparée, philosophique, formelle, etc. est bienvenue. On sera sensible à une réflexion poétique, pour un roman marqué du sceau d’une écriture classique et porté par une tradition surannée, mais aussi moderne, moins, peut-être, comme premier roman « impressionniste » que comme roman de la sensation, travaillant à restituer des instants, vues ou portraits, dans le souci véritablement poétique de remonter au moi originel, de retrouver les émotions telles qu’elles sont vécues dans le paysage de l’enfance et éprouvées dans la densité des mots.

On pourra suivre, par exemple, ces pistes de réflexion :

L’espace, Paris/province

La nature et le paysage

La question du temps, de la durée, de l’Histoire

La tradition morale et philosophique

Romantisme et « anti-romantisme » ; actualité et inactualité du roman

Les types de genre romanesque (roman personnel, roman psychologique etc.)

Les personnages ; la place et le rôle des femmes dans le roman

Le  récit et la description

Prose et poésie

Sens et sensations, synesthésies

La relation du roman à la peinture et aux arts

Les liens du roman avec L’Éducation sentimentale ou d’autres lignées romanesques, comme Volupté, Adolphe ou La Confession d’un enfant du siècle.

Les relations de Fromentin avec ses contemporains (Sand, Gautier, Flaubert, Taine, Zola, etc.)

La réception du roman

 

Les propositions de communication, de 500 mots maximum, sont à envoyer à

Hortense Delair et Marie Frisson, jusqu’au 15 avril 2018.

Contact : delairhortense@gmail.com ; frissonm@yahoo.fr

 

Comité scientifique :

Hortense Delair et Marie Frisson, avec Natasha Belfort-Palmeira, Cécile Besnard, Sofia Ibrahimi, Lucie Nizard, Ludiwine Villain-Furgeot.

Sous la direction d’Éléonore Reverzy, Henri Scepi, et Paolo Tortonese.

Organisation de la journée :

les doctorants du CRP19.

 

Bibliographie indicative :

Eugène Fromentin, Œuvres Complètes, Guy Sagnes (éd.), Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1984.

 

Pierre Barbéris, « Introduction », in Eugène Fromentin, Dominique, Paris, GF-Flammarion, 1987.

Roland Barthes, « Fromentin : Dominique », Nouveaux essais critiques, Paris, Seuil, 1972.

Fabienne Bercegol, « Dominique de Fromentin : le leurre du bonheur dans la durée », Modernités 30. Poétiques de la durée, M. Braud (dir.), Bordeaux, Presses Universitaires de Bordeaux, 2010.

Fabienne Bercegol, « L’Expérience romanesque au crible des romans confessions du xixe siècle », in L’Expérience romanesque au xixe siècle, Catherine Mariette-Clot (dir.), revue  Romanesques, n° 5, Paris, Classiques Garnier, 2013.

Anne-Marie Christin, « Présentation », in Eugène Fromentin, Dominique, Paris, Imprimerie Nationale, coll. « Lettres françaises », 1988.

Véronique Dufief-Sanchez, Philosophie du roman personnel de Chateaubriand à Fromentin. 1802-1863, Genève, Droz, coll. « Histoire des idées et critique littéraire », 2010.

Philippe Dufour, « Préface. Les fantômes de Fromentin », in Eugène Fromentin, Dominique, Paris, Librairie Nationale Française, coll. « Livre de Poche-classique », 2001.

Patrick Labarthe, « Fables romantiques du sujet: « Dominique » ou la prose du silence », in Parallelismen : Literatur- und kulturwissenschaftliche Beiträge zu Ehren von Peter Fröhlicher, M. Burkhardt, A. Plattner, A. Schorderet (dir.), Tübingen, Gunter Narr, 2009.

Jean-Marie Roulin, « “L’Âge de la mélancolie”: un débat littéraire au seuil de la modernité », Bulletin 43 de la Société Chateaubriand, Paris, éditions Manucius, 2000.

Barbara Wright, Eugène Fromentin : Dominique, Glasgow, University of Glasgow French and German Publications, 2002.

Barbara Wright, « Introduction », in Eugène Fromentin, Dominique, Paris, Didier, coll. « Société des Textes Français Modernes », 1966.

 

Colloque Eugène Fromentin, Pierre Golliet (dir.), Lille, Presses Universitaires du Septentrion, coll. « Travaux et Mémoires de la Maison Descartes N° 1 », 1979.

Dossier « « Dominique » : La fin du romantisme ? (Le récit - le temps - la femme - la notabilité - la politique) », par Yves Ansel, Michel Erre, Marie-Anne Barbéris, Gisèle Valency-Slakta, Pierre Barbéris, Elisheva Rosen, in Revue Romantisme, n° 23, « Aspects d’une modernité », Paris, Champion, 1979, p. 99-121.

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[1]Voir sur le site du CRP 19 :

http://www.crp19.org/article/la-maison-nucingen

http://www.crp19.org/article/son-excellence-eugene-rougon

http://www.crp19.org/article/les-lectures-du-crp19-lire-la-mer-de-michelet

[2] « C'est une œuvre deux fois solitaire, puisque c'est le seul roman écrit par son auteur, et que cet auteur n'était même pas écrivain ». Roland Barthes, Nouveaux essais critiques, Paris, Seuil, 1972, p. 157.

[3]  Eugène Fromentin, Dominique, Paris, Gallimard, coll. « Folio », 1974, p. 10.

[4] Voir les Actes du « Colloque Eugène Fromentin » qui s'est déroulé les 30 septembre et 1er octobre 1976 à la Maison Descartes d'Amsterdam, Institut Français des Pays-Bas. Voir Colloque Eugène Fromentin, Pierre Golliet (dir.), Lille, Presses Universitaires du Septentrion, coll. « Travaux et Mémoires de la Maison Descartes N° 1 », 1979.

[5] Avec les exceptions notables du dossier de la revue Romantisme n°23, « Aspects d’une modernité », Paris, Champion, 1979, p. 99-121 ; et plus récemment de l’ouvrage de Barbara Wright, Eugène Fromentin : Dominique, Glasgow, University of Glasgow French and German Publications, 2002.

[6] Programme publié sur le site du CRP 19 : http://www.crp19.org/article/approches-de-la-litterature-du-xixe-siecle-perceptions-imaginaire-et-savoir

[7] Dominique, op. cit., p. 271.

[8] À ce sujet, on peut se reporter à l’article de Michel Erre, « Temps et sensation dans Dominique », Romantisme, n°23, op. cit., p. 102-105.

[9] Roland Barthes, op. cit., p. 169.

[10] Pierre Barbéris, « Introduction », Dominique, Eugène Fromentin, Paris, GF-Flammarion, 1987, p. 22.

[11] Fabienne Bercegol, « Dominique de Fromentin : le leurre du bonheur dans la durée », Modernités 30. Poétiques de la durée, M. Braud (dir.), Bordeaux, Presses Universitaires de Bordeaux, 2010, p. 18.

[12] Philippe Dufour, « Préface. Les fantômes de Fromentin », Dominique, Eugène Fromentin, Paris, Librairie Nationale Française, coll. « Livre de Poche-classique », 2001, p. 36.