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Colloque :

Colloque : "Œuvres abandonnées, remodelées ou reniées : le pouvoir de décréer" (Rouen)

Publié le par Université de Lausanne (Source : François Vanoosthuyse)

Les actes de ce colloque sont désormais publiés parmi les Colloques en ligne de Fabula :

Le négatif de l’écriture. Enquêtes sur le pouvoir de décréer (2020)

Œuvres abandonnées, remodelées ou reniées : le pouvoir de décréer 

Colloque du CEREdI (Centre d’études et de recherche Éditer/Interpréter, EA 3229) de l’université de Rouen,

organisé par Jean-Louis Jeannelle et François Vanoosthuyse

1er – 3 avril 2019 

 

PRESENTATION

Plusieurs essais ont depuis quelques années ouvert un nouveau champ de recherche que l’on pourrait désigner comme celui des œuvres « inadvenues » : œuvres détruites, censurées, ou qui suscitent l’indifférence. Présence des œuvres perdues de Judith Schlanger (Hermann, 2010), Cardenio entre Cervantès et Shakespeare : histoire d’une pièce perdue  de Roger Chartier (Gallimard, 2011) et Le Tombeau d’Œdipe : pour une tragédie sans tragique de William Marx (Éditions de Minuit, 2012) traitent de ces créations devenues inaccessibles, qui nous obligent à nous interroger sur ce qui, dans notre mémoire de la littérature, nous manque – plus précisément sur les raisons ou les effets de ce manque.

Toutefois, au sein de ce continent textuel au mode d’existence si particulier, le plus mystérieux reste la part active que les écrivains eux-mêmes prennent au processus d’inadvenue, ce que l’on pourrait désigner comme leur pouvoir de « décréer ».

Multiples sont les raisons qui peuvent expliquer qu’un texte devienne, par la volonté de son auteur, un « rebut » de son œuvre. On peut distinguer en particulier trois gestes « négatifs » : l’abandon d’une œuvre en cours d’écriture (par exemple, l’abandon par Stendhal de son roman autographique Une position sociale), le remodelage par un remaniement structurel ou une réorientation idéologique (par exemple : Le Mystère de la charité de Jeanne d’Arc (1910), où Péguy reprend la première partie de sa Jeanne d’Arc de 1897, « drame en trois pièces », pour en liquider l’inspiration socialiste), enfin le reniement d’une œuvre publiée (par exemple le reniement par Claude Simon de ses œuvres écrites avant Le Vent).

Parmi les raisons qui expliquent l’arrêt d’un projet de création, certaines sont bien sûr hétéronomes (la maladie ou la mort de l’auteur en particulier), mais les plus importantes relèvent de la dynamique créative elle-même : du sentiment qu’un écrivain éprouve d’aboutir à une impasse, ou de la survenue d’un nouveau projet qui se substitue purement et simplement au premier (par exemple, chez Flaubert, la Tentation de saint Antoine de 1849 se substitue au Sept Fils du derviche, conte oriental dont il nous reste les scénarios).

Les mises à l’écart ne sont pas à envisager nécessairement comme les preuves de purs et simples échecs : quel que soit le degré d’inaboutissement d’un projet, il est toujours dynamiquement lié aux productions en cours ou à venir. Au cours de la création jamais interrompue de Stendhal (du moins à compter de 1815), l’inachèvement a ainsi joué un rôle paradoxalement constitutif : non seulement l’auteur a accumulé des textes inachevés, mais les œuvres qu’il a achevées et publiées étaient à peu près toutes susceptibles de donner aux lecteurs un sentiment d’inachèvement.

Plus radicalement paradoxal, le geste de Marivaux qui ne termine pas ses histoires (La Vie de Marianne, Le Paysan parvenu) et les publie malgré tout telles quelles en volumes. Toute une gamme d’intentions et de gestes, aux significations diverses, correspondent ainsi à la catégorie de l’abandon.  

Le deuxième avatar de cette créativité négative est également difficile à appréhender. Témoignant au grand jour de l’insatisfaction qu’un auteur éprouve face à l’une de ses œuvres publiées, le remodelage implique une transformation d’une ampleur telle qu’elle s’étend au-delà des simples corrections, ajouts ou soustractions et déplacements qui accompagnent une réédition.

Le remodelage est une modalité hyperbolique du remaniement, une transformation structurelle qu’un écrivain impose à un texte éventuellement déjà paru, et qui peut avoir pour effet et à tout le moins pour but de renvoyer dans les limbes la ou les première(s) version(s). Mais si les modifications apportées impliquent que le second texte n’est pas le même que le premier, quel statut faut-il précisément reconnaître au premier ?

La seconde version de Rome, Naples et Florence n’a pas fait oublier la première ; et l’on n’a pas cessé de lire le Faust primitif. Quand le remaniement d’ensemble s’apparente à une véritable transfiguration, la décision à prendre concernant le premier texte est encore plus difficile. Par exemple, quel est le rapport précis entre la seconde Éducation sentimentale et la première, si différente, rédigée entre 1843 et 1845, achevée mais non publiée ? La première peut-elle, en dépit de son autonomie, être considérée comme une version première du chef-d’œuvre, voire comme un avant-texte qui aurait longuement flotté avant de connaître une complète métamorphose ?

Le cas de Polexandre, roman de Gomberville (1632-1637), est également intéressant : l’auteur commence une première version de son histoire, qu’il laisse inachevée, avant de la reprendre à zéro et d’en modifier considérablement l’intrigue. On distinguera ces cas, que motivent principalement des considérations artistiques déterminantes au cours de la création, d’autres types d’interventions d’auteurs sur leurs textes : ajouts légendaires de Saint-John Perse à sa propre correspondance, lorsqu’il édite la Pléiade de ses œuvres, sélection par Lamartine de morceaux choisis de ses propres œuvres, pour une publication destinée à la jeunesse, qui les amende dans un sens moral et en supprime tout caractère d’exaltation passionnelle et pulsionnelle.

Ce dernier exemple n’est pas à proprement parler un cas de reniement, et, au sens strict, les cas de reniement sont relativement rares. En cas d’achèvement et de publication de l’œuvre existe cependant cette possibilité : songeons, par exemple, aux choix drastiques que tel ou tel écrivain a effectués au moment de publier ses « œuvres complètes », pour installer son image, affirmer une posture, se confondre avec une certaine cohérence.

Lorsqu’elle édite ses œuvres complètes en 1842, George Sand exclut tous les textes coécrits avec Jules Sandeau. On connaît le cas fréquent du reniement des œuvres de jeunesse ; et ce sont plus largement les débuts d’une carrière qui peuvent être sanctionnés, comme chez Pierre Jean Jouve, qui fit de sa rencontre avec Blanche Reverchon (et avec la psychanalyse) l’occasion d’une vita nova, renvoyant aux oubliettes tout ce qu’il avait écrit avant 1925 sous le signe de l’unanisme et du pacifisme, dès lors interdit de réédition et de commentaire parce que « manqué ».

La part du maquillage est quelquefois plus importante : Céline, par exemple, excluant ses pamphlets de la réédition de ses œuvres chez Gallimard au début des années 1950, plus par stratégie que par reniement sincère des idées qu’il avait défendues avant puis pendant la guerre. L’acte de reniement a ceci de frappant que, tout en restant littéralement le même, le texte renié se voit déplacé par décret de l’auteur lui-même aux marges de sa production, et n’est plus lisible que dans cette nouvelle condition de rebut (quand bien même les lecteurs futurs seraient libres de trouver dans cette mise au ban une raison de le redécouvrir, ou une indication pour l’interpréter).

Le reniement apparaît comme un acte transgressif, tant il va à l’encontre de notre foi dans l’imprimé, d’une part, et dans l’intention auctoriale, d’autre part, en tant que source et caution du sens ainsi que de la valeur de l’œuvre. La question se pose toutefois de savoir en fonction de quels critères formels on juge qu’il y a reniement. Faut-il nécessairement qu’il y ait une déclaration expresse et motivée de l’écrivain (La Fontaine reniant sur ses vieux jours ses Contes devant l’Académie) ?

Cette déclaration doit-elle avoir été rendue publique et avoir eu pour effet d’empêcher la réédition du ou des textes concerné(s) ? On peut se demander également si le reniement n’est pas la forme ostentatoire d’un processus en réalité caractéristique de toute grande aventure créative, et que les écrivains cherchent le plus souvent à atténer en revendiquant au contraire la permanence de leur caractère et la fidélité à leur passé.

Flaubert par exemple n’a renié aucune de ses œuvres de la maturité, et s’est toujours exprimé avec une très grande force de conviction sur son art, mais il n’a cessé de composer à nouveaux frais ses œuvres, inventant pour chacune une forme nouvelle, éventuellement sans rapport apparent avec la précédente, comme s’il en tournait la page.

On peut reconnaître dans cette activité permanente de reconfiguration de son style, qui donne à ses œuvres complètes l’aspect d’une série régulière de mutations (comme à celles de Kubrick ou de Picasso), la marque d’une infinie curiosité pour les possibilités de la littérature, ainsi que celle d’une puissance de négation, indissociable de sa créativité.

Tel est le type de questions qu’on aimerait voir aborder dans ce colloque : il vise à poser un jalon dans l’étude de cette face négative de l’histoire littéraire – et néanmoins essentielle par ses effets – qu’ouvrent ces trois modalités du pouvoir discrétionnaire que tout écrivain exerce sur son œuvre.

Ce colloque se place dans la continuité d’une série de travaux organisés par le CEREdI autour de la notion d’œuvre : L’Ombre dans l’œuvre (organisé par Marianne Bouchardon et Myriam Dufour-Maître en 2011, actes publiés chez Garnier en 2015), L’Œuvre inclassable (organisé par Marianne Bouchardon et Michèle Guéret-Laferté en 2015, actes publiés dans les « Publications numériques du CEREdI »[1]), « D’outre-tombe » : vie et destin des œuvres posthumes (organisé par Aurélien Davout et Alex Pepino en juin 2018), et L’Imperfection littéraire et artistique (co-organisé par Xavier Bonnier et Sylvie Laigneau-Fontaine à l’université de Dijon en mars 2018 et à l’université de Rouen en avril 2019). 

PROPOSITIONS

Les propositions (en 300 mots environ, précisées par un titre) doivent être envoyées à Jean-Louis Jeannelle (jeannelle@fabula.org) ou à François Vanoosthuyse (vanoosthuyse.f@gmail.com), accompagnées d’un court CV, avant le 20 novembre 2018.

 

[1] URL : http://ceredi.labos.univ-rouen.fr/public/?l-oeuvre-inclassable.html.