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Photographie document(aire) & fiction (revue Focales)

Photographie document(aire) & fiction (revue Focales)

Publié le par Marc Escola (Source : Julie Noirot)

Photographie document(aire) & fiction

 

                           « Le réel a besoin d'être fictionné pour être pensé » (Jacques Rancière)
                                               « Pour savoir, il faut s'imaginer » (Georges Didi-Huberman)


Si nous avons pour habitude d’opposer ce qui dans les images photographiques relève du document (du latin docere qui signifie « éduquer », « informer ») et ce qui procède de la fiction (fingere pouvant être traduit par « façonner », « modeler » ou encore « imaginer »), force est de constater que nombre d'artistes contemporains visent à l'inverse à brouiller les repères et les frontières entre ces deux régimes de représentation, en plaçant volontairement leurs œuvres dans une indécision paradoxale. Considérant moins le projet documentaire comme une restitution objective et immédiate d'un réel déjà donné que comme un dispositif d'élaboration et d'intellection complexe à imaginer, les photographes rappellent ainsi, à la manière de Rancière dans Les Bords de la fiction (2016) que la fiction, comme on le sait au moins depuis Aristote, loin de s'opposer au réel peut au contraire le prolonger, être porteuse de référentialité, voire même posséder une fonction heuristique. Ainsi s'agira-t-il, dans ce dossier de la revue Focales d'examiner les productions qui, dans le champ photographique, tantôt fictionnent le document, tantôt documentent la fiction à des fins de connaissance historique et/ou critique. Affirmant en 1977 n'avoir jamais écrit que des fictions, le philosophe Michel Foucault n'entrevoyait-il pas lui-même la possibilité de « faire travailler la fiction dans la vérité » (autrement dit « d'induire des effets de vérité avec un discours de fiction »), mais aussi de « faire en sorte qu'un discours de vérité suscite, fabrique quelque chose qui n'existe pas encore, donc "fictionne" » ? Comment, à la lumière de ces réflexions, envisager les œuvres au statut problématique et hybride et qui à des degrés divers, selon des modalités qu'il reste à interroger (à partir d'études de cas spécifiques ou à travers des approches théoriques plus synthétiques) remettent en cause le partage traditionnel entre les notions de document, de documentaire et de fiction.

Plusieurs perspectives pourront être retenues afin d'explorer toutes les modalités de croisement et/ou de brouillage opérées au sein des productions photographiques, et de réfléchir aux enjeux de ces dernières aux plans esthétique, éthique et politique.
 
1. Du document(aire) à la fiction : que se passe-t-il lorsque des photographes pratiquant le reportage ou produisant des images à visée documentaire recourent (en les dissimulant ou au contraire en les assumant pleinement) à des dispositifs de mise en scène narratifs ou fictionnels, à l'instar du photographe italien Alex Majoli qui plonge artificiellement en les spectacularisant à l'aide d'un flash puissant des situations de la vie réelle dans une obscurité dramatique qui n'est pas sans soulever certaines questions d'ordre éthique ? À l'inverse comment aborder les « simulacres-vrais » d'artistes comme An-My Lê qui documente photographiquement de vraies-fausses opérations militaires, montrant des reconstitutions de la guerre du Vietnam en Virginie et en Caroline du nord (Small Wars, 1999-2002) ou les entraînements de soldats américains dans de faux villages irakiens construits de toutes pièces dans le désert de Californie (29 Palms, 2003-2004) ?

2. De la fiction au « presque documentaire » : comment analyser la démarche de photographes qui travaillent, à l'inverse, dans le champ de la fiction ou de la mise en scène, tout en reconnaissant ou revendiquant la dimension documentaire de leurs œuvres ? En quoi celles-ci relèvent-elles d'un art que l'on pourrait qualifier de « factionnel » en ce qu'elles entremêlent de façon plus ou moins trouble et ambigüe approche fictionnelle et dimension factuelle? Ainsi certains artistes, qui s'inscrivent dans la lignée de Jeff Wall et de ce qu’il a théorisé sous le nom de « Near Documentary », fondent leurs mises en scène sur des faits réels plus ou moins identifiables, dans une logique de suggestion plus que de description ; c’est le cas par exemple de Mohamed Bourouissa dans la série Périphériques (2005-2009), rejouant afin de les déconstruire certains clichés médiatiques de la banlieue, de Taryn Simon photographiant d'anciens détenus sur les lieux de crime qu'ils n'ont pas commis (The Innocents, 2003) ou encore de Juul Hondius suggérant des situations d'exil réelles à travers des photographies entièrement performées.

3. Fictions documentaires et vraies-fausses archives : d'autres œuvres, également situées à la lisière du document, de l'archive et de la fiction, reposent davantage sur la fabrication (intégrale ou partielle) de faux matériels documentaires et peuvent illustrer ce que Jean-Marie Schaeffer nomme une « feintise ludique partagée » (à l'opposé du vrai mensonge qui vise à tromper le spectateur). Abordant certains événements oubliés ou négligés de l'histoire officielle, ces travaux opèrent de façon oblique, afin de remettre en cause le processus historiographique lui-même. Parmi les œuvres empruntant ce type de stratégie, figurent les célèbres camouflages photographiques de l'artiste catalan Joan Fontcuberta ou l'ambitieux projet de l'Atlas Group entièrement imaginé par l'artiste libanais Waalid Raad afin de retracer l'histoire contemporaine des guerres civiles au Liban à partir de faux documents d'archives textuelles, photographiques et vidéographiques (1989-2004). On pense également au projet de l'artiste Zoe Leonard créé en collaboration avec la réalisatrice Cheryl Dunye qui retrace la vie imaginaire d'une célèbre actrice afro-américaine, star fictive du cinéma muet hollywoodien du début du XXe siècle, engagée dans le mouvement des droits civiques, en vue de révéler le caractère lacunaire des informations concernant l'histoire des femmes noires lesbiennes américaines.

Loin des discours sur la « post-vérité » ou les « alternative facts », censés révéler un affaiblissement du concept de vérité dans les sociétés contemporaines et l'instauration d'un régime d'indifférence, tel que l'analyse de façon critique la philosophe Myriam Revault-d'Allonnes dans La Faiblesse du vrai. Ce que la post-vérité fait à notre monde commun (2018), il s’agit ici de réfléchir à la manière dont certaines œuvres brouillant les frontières et les pistes entre le vrai et le faux peuvent au contraire constituer des outils de questionnement et de résistance, en mettant en évidence les pouvoirs de la fiction, apte à interroger le réel et la prétendue transparence de ses représentations.

Modalités de soumission :

Les propositions de contribution (de 300 mots maximum), assorties d'une brève notice bio-bibliographique doivent être envoyées avant le 30 juin 2019 aux adresses suivantes : daniele.méaux@univ-st-etienne.fr ; julie.noirot@univ-lyon2.fr

Notification de l’acceptation des propositions : 20 juillet 2019.

Envoi des articles (25 000 à 35 000 signes) : avant le 15 décembre 2019 (les articles seront ensuite soumis à une double expertise anonyme)

Les auteurs suivront les consignes de rédaction consultables sur le site de la revue Focales :

https://focales.univ-st-etienne.fr/index.php?id=506