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Repenser l’insignifiance (I)

Repenser l’insignifiance (I)

Publié le par Arnaud Welfringer (Source : ISSHM, Université de Gabes )

Appel à contribution pour un ouvrage collectif

Titre : « Repenser l’Insignifiance »

 

« L’insignifiance est un mode de pensée, de perception et d’action particulier à l’œuvre dans une société 1 ».

Cornélius Castoriadis

 

La notion d’insignifiance semble souvent être mise en marge des études scientifiques. Traitée en tant qu’opposée de la « signifiance »2, cette notion a ainsi été délaissée, à cause de sa connotation péjorative : signification aberrante, absence ou manque de sens. Néanmoins, grâce aux mutations perpétuelles qui ont marqué la littérature  et les sciences humaines, depuis la fin du XXe siècle, cette notion a connu un regain d’intérêt lui permettant ainsi de promouvoir son génie créateur.

La nouvelle conception de l’insignifiance semble actuellement permettre l’ouverture de nouveaux horizons. En substance, elle a permis de voir dans l’insignifiance un mode de signification plus créatif. Si la signifiance est la mesure de toute réflexion profonde, en bonne dialectique, l’insignifiance constituerait désormais la mesure de son existence. Les choses se valent aussi par leurs contraires.

 À cet égard, voyant l’insignifiant comme un défi de signification, Barthes postule que « l’insignifiant n’est plus le contraire du signifiant mais son extériorité absolue, son « autre » ou son « dehors »3. Autrement dit, le qualificatif « insignifiant », auparavant synonyme de : « ce qui n’a pas de sens, ce qui manque de sens, ce qui constitue un détail banal, trivial, voire de second plan »4, constitue désormais une promesse de signification.

Également, Peirce, qui appréhende l’insignifiance des signes linguistiques en termes d`indéchiffrabilité et d’incompréhensibilité, recense trois catégories de « signes insignifiants » :

- signe  « indéchiffrable » (on ignore son contenu  sémantique mais pas nécessairement son fonctionnement pragmatique)

-  signe « incompréhensible » (on ignore son fonctionnement pragmatique mais non son contenu sémantique), 

-   signe « troublant » (on ne connaît ni son contenu sémantique ni son fonctionnement pragmatique alors même qu’on reconnaît sa capacité d’agir en tant que signe) ».

Au vu de ces deux prolégomènes précités - pour ne pas en évoquer d’autres-, la notion d’ « insignifiance » ne serait plus envisagée comme un simple manque (ou médiocrité) sémantique fortuit. À contrario, elle devient tout un processus choisi et raisonné avec perspicacité et pleinement chargé, sémantiquement parlant.

Somme toute, un discours sur l’insignifiance, caution d’une crise de sens ou de signification, ouvre désormais la voie à un tas d’interrogations curieuses sur les notions de : signifiance, signification, identité, pertinence, consistance ... En d’autres termes, des réflexions prometteuses pourraient se profiler sur la base des interrogations suivantes :

  • Comment la création linguistique et littéraire (langagière ou discursive) donne-t-elle à voir l’ « insignifiance » ?
  • Quel statut, quelle catégorisation et quelles contraintes (linguistiques et littéraires) à assigner, désormais, à cette notion ?
  • Dans quelles mesures, cette notion serait-elle plus significative et expressive que la signifiance ?

Une telle lecture pourrait légitimer l’existence d’un potentiel expressif, interprétatif et argumentatif propre à l’insignifiance faisant de cette dernière une sorte de stimulus pour la reproduction d’une signifiance nouvelle. Sans doute, faut-il accorder à ce concept, qui n’a trouvé ni son équilibre ni sa profondeur référentielle, ce qu’il peut avoir d’exprimable  et de significatif.

Ce faisant, nous proposons aux intervenants deux champs d’investigation : la linguistique et la littérature.

En linguistique :

D’un point de vue purement linguistique, le concept « d’ insignifiance », en rapport avec sa définition plurielle, pourrait librement se greffer sur les sens qui suivent : « ce qui n’a pas de sens, ce qui manque de sens, ce qui constitue un détail banal, trivial voire même de second plan, etc. ». En d’autres termes, parler d’un énoncé ou d’un signe insignifiant revient à dire que lesdits énoncé et signe sont dépourvus de sens, qu’ils manifestent une incomplétude sémantique ou, dans d’autres cas, qu’ils se traitent (se voient traités) comme secondaires ou banals dans le contexte en question. Toutefois, cette stratification des definiendum ne semble pas être celle suivie par les entrées lexicologiques propres à l’item « insignifiant ». Notamment, le Petit Robert, à titre illustratif, suggère pour ledit definiens les définitions suivantes : « insignifiant » : 1° qui ne présente aucun intérêt ; 2° qui n'a pas d'importance, n’a pas de conséquence ; 3° Rare : qui n'a pas de signification, de sens »5 ( Sans réelle signification : au sens propre du mot (Gide), dans l’édition suivante du Petit Robert ». Toujours à propos de cette définition, Stéphane Chaudier  (2005) fait remarquer que ce troisième sens, marqué comme rare, permet de confirmer que « l'usage répugne à penser une chose absolument dépourvue de sens, une chose véritablement non signifiante (…) Il est curieux que le très puriste André Gide n'hésite pas à fausser ce qu'il nomme pourtant « le sens propre » du mot ; car en bonne logique, « insignifiant » devrait se gloser par « sans aucune signification ». Euphémique, l'expression « sans réelle signification » maintient donc un reste de sens à l'horizon du mot ; et même dérisoire, ce reliquat accrédite une signification postiche qui empêche de considérer l'absence de sens dans toute sa crudité »6.

Force est de constater, au demeurant, que « l’insignifiance » pourrait, linguistiquement parlant, avoir deux formes distinctes. Une première forme, liée intrinsèquement à la langue, en termes saussuriens, où ladite notion résulte d’un décalage ou d’une absence de « signifié ». Seront sujettes à l’étude, dans cette sphère, à titre illustratif  les termes, les  expressions ou les énoncés ayant des structures morphologiques particulières.

Quant à la deuxième forme, elle pourrait être liée aux emplois langagiers, discursifs ou littéraires des signes ou énoncés. Ici, « l’insignifiance » semble être motivée par le contexte linguistique ou discursif. Seront appréhendés, sous cet angle, les concepts sémantiques de  « signifiance », « vide», « non congruence », « vicariance », « non référenciation ».

À titre indicatif, les présumées propositions pourraient aborder la question de l’insignifiance dans l’un des axes suivants :

  • L’insignifiance : les structures dérivationnelles et morphologiques non classiques
  • L’insignifiance : Fragmentation de la parole et vacuité du langage
  • L’insignifiance : Le vide sémantique
  • L’insignifiance : Le blanc, l’écriture elliptique
  • L’insignifiance : Fluctuation des structures énonciatives
  • L’insignifiance en discours

En littérature

Le langage cru, muet, sourd et soi-disant insignifiant, est en réalité chargé de sens et empli d`emblèmes ; l`insignifiant ne peut signifier que par « des voies détournées ». Décrire l`infra-ordinaire suppose nécessairement un sens, « l’insignifiant perd son insignifiance dès qu’on l’interroge ». Dans ce sens, « l`insignifiant n’est plus ce qui déjoue l’interprétation, mais bien ce qui la réclame ». A titre illustratif, Tristan Tzara, en tant qu`écrivain dadaïste, fait de l`abolition de la logique, de la subversion, de l`antiesthétisme et du scandale le principe fondateur de tout acte scriptural.

Également, à la construction logique et normalisée, les surréalistes opposent le besoin de « sens qui se niche derrière l`interdit ». Ils font de la déambulation dans les pages, en battant en brèche toute idée de continuité et de cohérence, une expérience des profondeurs.

Pour les existentialistes, tels que Sartre et Camus, l’écriture doit tendre à dégager la pensée des conventions et des règles figées pour ouvrir une voie d’authenticité qui reflète la fracture entre l`homme et le monde. Dans l`objectif de rendre l’écriture vivante, la philosophie de l’absurde tente alors de « tuer le respect pour ce qui est écrit ».

Dans ce même esprit de transgression, l’hétérogénéité du langage, dans le théâtre moderne notamment celui de Beckett, Ionesco et Adamov, (langage scénique, signes verbaux et non verbaux) entraine une complexité et une difficulté de décodage. Ce en vue de quoi le sens se cantonne dans le no man`s land séparant le signifiant et l’insignifiant. Si Vian, Kafka et Michaux (fantastique moderne) recourent au surnaturel et à l’irréel c`est essentiellement pour rendre au texte littéraire son insignifiante littéralité : « La banalisation de l’étrange obtenue par le détournement des paradigmes indiciaire et symbolique opère ainsi la synthèse de l’insignifiant. ». Dans le Nouveau Roman, en l’occurrence Nathalie Sarraute, le sens n`est pas dans le langage, il ne peut pas être investi par lui ; il y a « des régions silencieuses et obscures où aucun mot ne s`est encore introduit, sur lesquelles le langage n`a pas encore exercé son action asséchante et pétrifiante »7 . Mais de cette incapacité du langage à signifier les choses émane l`insignifiance, insignifiance dite par l`intraduisible et l`inexprimable. En ce sens, parler de l`insignifiant « c`est admettre que la réalité tout entière n`est pas contenue dans ce qu`on dit, qu`elle est toujours encore au-delà de ce qui a été dit »8. Pareillement, la poésie moderne (Rimbaud), pour suivre les termes de Toussaint, n’échappe pas à cette constatation. En effet, ce dernier postule qu’elle est profondément envisagée comme insignifiante à cause de son aspect révolutionnaire engendrant un dérèglement de tous les sens.

Parler donc l`insignifiance ou de l`insignifiance  de (dans) la littérature, la linguistique et la philosophie était une question déconcertante, voire ouatée de soupçon. Mais cette interrogation n`est pas défaitiste : dire l`insignifiant, c`est stimuler la création humaine et éperonner l`esprit. C`est sur fond d`insignifiance que, du moins la littérature, persévère à se hausser. L`insignifiance est signifiante ? Et c`est bien avec cette interrogation qu`il faut entendre le phénomène : création insignifiante et insignifiance qui pique la curiosité et éveille les soupçons.

Dans le cadre de ce volet, les propositions pourraient traiter de la question de l’insignifiance en rapport avec l’un des axes qui suivent :

  • L`insignifiance du texte, l`insignifiance dans le texte
  • Silence et insignifiance
  • L`imprécis et l`insignifiance
  • Le non-dit et le mi- dit
  • Insignifiance écrite, insignifiance convoitée
  • Insignifiance pensante, insignifiance flottante
  • Langage du corps et insignifiance
  • Fantastique et insignifiance
  • Texte ironique, ironie du texte insignifiant
  • L`intraduisible et l`inexprimable
  • Automatisme et insignifiance (écriture sous l`hypnose des mots)
  • Rejet de la pensée discursive et du langage et insignifiance
  • Abolition de la logique et insignifiance

 

Notes bibliographiques :

Castoriadis, Cornelius (1996): La montée de l’insignifiance. Paris: Seuil. (1998): Post-scriptum sur l’insignifiance. Paris: Aube. Pour suivre les termes de Benveniste, « signifiance » sera prise dans le sens où elle traduit « l’émergence du sens chez le récepteur ».  Barthes, « L’effet du réel » (Communication, Mars 1968), cité dans « L’insignifiant : de Barthes à Proust » , Stéphane Chaudier, ,Études françaises, vol. 45, n° 1, 2009, p. 13-31.  Le dictionnaire du Centre National des Ressources Textuelles et Lexicales précise pour ce lexème ces définitions : « « Caractère de quelque chose dont la valeur existentielle est médiocre ou nulle; caractère de ce qui est banal, médiocre », « Caractère, état de quelque chose dont la valeur, l'effet esthétique est médiocre ou nul », Le Nouveau Petit Robert, éd 2009. Stéphane Chaudier  (2005), Séminaire "L'Insignifiant" IV : 'L'Insignifiant : de Barthes à Proust', Information publiée le 13 mars 2005 par Marielle Macé  (source : Johan Faerber), Le 18 mars 2005, Université Paris III - Sorbonne Nouvelle. Nathalie Sarraute, ce que je cherche à faire, in Nouveau Roman: Hier, Aujourd`hui, t. II, Pratiques, p. 32 André Allemand, L`œuvre romanesque de Nathalie Sarraute, Suisse, Les Editions de la Baconnière, 1980, p. 42.

 

Bibliographie indicative :

-Alquié Ferdinand, Philosophie du surréalisme, Flammarion, 1956.

-André Allemand, L`œuvre romanesque de Nathalie Sarraute, Suisse, Les Editions de la Baconnière, 1980.

-André Breton, Manifeste du Surréalisme, Paris, Folio (Poche), 1985.

-Barthes, « L’effet du réel » (Communication, Mars 1968), cité dans « L’insignifiant : de Barthes à Proust » , Stéphane Chaudier, ,Études françaises, vol. 45, n° 1, 2009.

-Béhar Henri et Carassou Michel, Dada, histoire d’une subversion, Fayard, 1990.

-Carlo Strenger,  La peur de l’insignifiance nous rend fous, Pocket, 2016.

-Crevel René, L’esprit contre la raison, Jean-Jacques Pauvert, 1986.

-De l'insignifiance: recherches d'esthétique et sciences humaines : Recherches en esthétiques et sciences humaines, sous la responsabilité de Philippe Le Roux, Université de Saint-Etienne / Travaux LXVII, Centre Interdisciplinaire d’Etudes et de Recherches sur l’Expression Contemporaine.

-Esslin Martin, Théâtre de l’absurde, Buchet /Chastel, 1994.

- ERALY, Alai (1985): Le principe d’insignifiance. Paris: Seuil.

-Labasse Bertrand, Une dynamique de l'insignifiance, Les médias, les citoyens et la chose publique dans la société de l'information. Paris: Ennsib.

-Marion Delecroix, Erreurs de sens : insignifiance et inversions dans la peinture d’Edouard Manet, Les chantiers de la création (Revue pluridisciplinaire en lettres, langues, arts et civilisations), 2009.

-Motte (De la) Annette, Au-delà du mot, Une Ecriture du silence dans la littérature française au XXème siècle, LIT, VERLAG, MUNSTER, 2004.

-Nathalie Sarraute, Ce que je cherche à faire, in Nouveau Roman: Hier, Aujourd`hui, t. II, Pratiques.

-Pierre Van Den Heuvel, Parole, Mot, Silence, pour une poétique de l’énonciation, José Corti, 1985.

-Stéphane Chaudier  (2005), Séminaire "L'Insignifiant" IV : 'L'Insignifiant : de Barthes à Proust', Information publiée le 13 mars 2005 par Marielle Macé  (source : Johan Faerber), Le 18 mars 2005, Université Paris III - Sorbonne Nouvelle.

 

Comité scientifique :

Ali ABBASSI ( Université de Tunis 1, Manouba, Tunisie),

Marion CAREL (Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, Paris, France)

Ahmed BOUKOUS ( Institut Royal de la Culture Amazighe, Rabat, Maroc)

Mohamed BOUATTOUR ( Université de Sfax, Tunisie)

Mokhtar  SAHNOUN ( Université de la Manouba, Tunisie)

Philippe MONNERET (Université Paris-Sorbonne (Paris IV), France)

Sonia FITOURI-ZLITNI (Université de Tunis, Tunisie)

Mustapha TRABELSI ( Université de Sfax, Tunisie)

Georges KLEIBER (Université de Strasbourg, France)

Abderrahmane AJBOUR ( Université Chouïab Doukkali, Aljadida, Maroc)

Charles BONN ( Université Lyon II, Lyon, France)

Mohammed AIT RAMI ( Université Chouïab Doukkali, Aljadida, Maroc)

 

Responsables : 

FAOUZI Horchani (Institut Supérieur des Sciences Humaines de Médenine, Université de Gabes)

Jamel Zaidi (Institut Supérieur des Sciences Humaines de Médenine Université de Gabes, )

Tarek GHAZEL (Institut Supérieur des Sciences Humaines de Médenine, Université de Gabes)

 

Dates importantes :

Envoi des résumés avec les coordonnées, l’affiliation institutionnelle et une notice biobibliographique avant le 10 novembre 2017

Avis du comité : 15 janvier 2018

Envoi des articles : 15 Avril 2017

Avis du comité : 15 Juin 2018

Envoi des articles après rectifications : 15 Juillet 2018

Publication : Septembre 2018

 

Adresse électronique : ouvrage.insignifiance2018@gmail.com

Responsable de la publication : L’institut Supérieur des Sciences Humaines de Médenine, Université de Gabes, Tunisie