éditoriaux

Suspendre le temps, continuer l’espace
La séparation des arts opérée par Lessing en 1766 a durablement cantonné l’art littéraire dans l’idée d’un temps séquentiel et l’art plastique dans un temps arrêté. Est-on jamais revenu de cette antithèse aussi puissante que retorse comme l’a formulé Lessing il y a 250 ans? Le colloque "Suspendre le temps, continuer l’espace" qui se tiendra à la Sorbonne nouvelle les 19 et 20 décembre prochains à l'initiative de Nathalie Kremer et Susanna Caviglia voudrait revisiter l’opposition entre espace et temps en explorant l’idée que l’œuvre littéraire peut être conçue comme un temps suspendu autant que le tableau comme un espace continué. Fabula vous propose de découvrir les résumés des contributions…
Journal de Marie

"Jamais une vie ne fut vécue avec plus de fièvre, plus de soif de vivre", écrivait Hugo von Hofmannsthal de Marie Bashkirtseff. Son Journal reste, depuis sa parution, un des grands classiques de la littérature autobiographique. D'une capitale l'autre, de villégiature huppée en ville d'eau, la jeune peintre russe d'une grande beauté, tente de vivre, d'aimer, de laisser une œuvre à la postérité. Paradoxalement, c'est son journal intime qui fera d'elle une des figures les plus touchantes de la Belle Époque. Son Journal (1873-1877) est aujourd'hui réédité par les éditions 10/18 qui retrouvent décidement le goût des classiques pour mieux nous le redonner.
Portraits littéraires de la Belgique

Portraiturer la Belgique ? Bien des difficultés se présentent à qui voudrait se lancer dans une telle entreprise. On peut d'abord se demander s’il vaut vraiment la peine de dresser le portrait d’un tel pays, dont telle chanson fameuse a vanté… la platitude. Existe-t-il vraiment, ce petit pays ? Depuis sa création, on s’est à de multiples reprises posé la question. Et puis, à qui s’y risquerait, comment diable portraiturer un pays aussi compliqué et atypique que celui-là ? L’opération paraît semée de bien des embûches, notamment, parce que tant de "paysâ¯" (et de langues) différent(e)s coexistent entre ces frontières pourtant étroites. En dépit de ces obstacles, nombreux sont les portraits de cette contrée, en particulier dans le domaine des lettres. À l'initiative de Laurence Brogniez & David Martens, un numéro de la revue Textyles vient dresser le répertoire des Portraits littéraires de la Belgique. Fabula vous invite à en découvrir le sommaire en ligne…
Que du bonheur !

Qu’est-ce que le bonheur ? Un désir, une aspiration ? Une disposition d’esprit, une aptitude que chacun posséderait à des degrés différents, l’humanité se divisant entre optimistes et pessimistes ? Notre époque, qui fait de la capacité à être heureux une injonction, avait sans doute besoin d'un Dictionnaire du bonheur qui soit un dictionnaire à la fois critique et historique. C'est désormais chose faite grâce aux soins de M. Gally. Croisant des points de vue multiples à travers 230 entrées et 92 auteurs, de la philosophie à la littérature, des arts à la sociologie, de l’économie à la psychologie et à la psychanalyse, des neurosciences à l’histoire, etc., il est à la fois instrument de connaissances et invitation à réfléchir sur le contemporain.
Nommer notre présent

Comment nommer la littérature contemporaine ?, se demande Dominique Viart dans un texte inédit accueilli dans l'Atelier de théorie littéraire de Fabula. Si au terme de trois décennies de travaux sur la littérature contemporaine et l'idée même de contemporain, on sait mieux, ou l'on croit mieux savoir ce que désigne le contemporain en littérature, au moins de manière empirique, la notion elle-même fait problème dès lors qu'il s'agit de la définir en théorie. D. Viart soumet au débat cette proposition : "à l'inverse des dernières Avant-gardes qui, radicalisant le geste moderne, avaient constitué la littérature en clôture (sur elle-même, dans son intransitivité), en césure (dans une recherche de singularité indépendante des autres espaces de la pensée) et en rupture (avec les esthétiques du passé), la littérature contemporaine française fait au contraire montre de son ouverture à de nouveaux champs: au monde extérieur et aux disciplines qui l'envisagent. Elle développe des relations." Cet essai de définition vient enrichir les propositions déjà versées au dossier "Le contemporain" de l'Atelier.
Encyclopédie des écrivains ratés

Vous n'avez jamais entendu parler de Virgil Haack ? Vous n'avez jamais lu une traître ligne de Sara Zeelen-Levallois ? Les oeuvres complètes de Hartmut Trautmann manquent à votre bibliothèque ? Vous n'avez rien raté. Car ces trois écrivains de génie, ainsi que les 49 autres qui composent l'Encyclopédie des écrivains ratés de C. D. Rose (Seuil) et des plus phénoménaux ratages de toute l'histoire de la littérature, ont été victimes de diverses avanies qui les ont fait passer à l'as de la postérité. Voyez l'infortuné Hans Kafka, que son quasi-homonyme a relégué dans l'ombre pour l'éternité. Songez à Otha Orkkut, dont l'incomparable talent nous demeurera à jamais inconnu puisqu'elle a écrit toute son oeuvre en cimbrien, dialecte finno-ougrien dont elle était hélas la seule locutrice. Et que dire d'Aurelio Quattrochi, cas extrême de perfectionnisme, qui n'est capable d'écrire qu'une phrase par jour et dont le magnum opus, voué sans le moindre doute à renvoyer Proust, Joyce et consorts à leurs études, est annoncé pour 2042 ?
Ma vie et moi

Parce que nous ne cessons de nous raconter notre propre existence, nous séparons mal notre identité de notre vie. Pourtant, nous n’adhérons pas à tout moment à ce qui nous arrive. Et nombreux sont ceux à qui les circonstances historiques imposent une expérience destructrice et déroutante qu’ils subissent sans pouvoir se reconnaître en elle. "Ce que ces personnes traversent est bien leur expérience de vie, mais elles n’ont pas nécessairement le sentiment que celle-ci reflète leur être profond", observe Judith Schlanger qui pose dans son dernier essai Ma vie et moi (Hermann) ces fortes questions : "comment mon identité se confond-elle (ou non) avec mon récit de vie ? En quel sens suis-je mon scénario existentiel ? En quel sens mon identité excède-t-elle ma vie ?". Elle montre au passage comment les formes de la narration fictionnelle ont pu, tout au long de l'histoire du roman, nous donner à penser ce rapport entre existence et identité. L'Atelier de théorie littéraire donne à lire quelques pages, où le picaro apparaît comme le travailleur idéal du capitalisme actuel…