éditoriaux

Des essais en archipel
Après le collectif Faire littérature. Usages et pratiques du littéraire (XIXe-XXIe siècles), dont on peut lire l'introduction dans l'Atelier de théorie littéraire et un compte rendu dans Acta fabula, la collection Archipel Essais éditée par l'Université de Lausanne fait paraître deux nouveaux titres : À chœur perdu. Les traces du chœur antique dans la tragédie française du XVIIe siècle de Josefa Terribilini, qui se propose de mettre au jour, à partir des récritures d’Antigone et d’Iphigénie par Jean de Rotrou et par Jean Racine, les traces du chœur antique dans la tragédie française du XVIIe siècle. Et Cohabiter la fiction. Lecture ordinaire, univers de croyances et interprétation des mondes littéraires d'Aurélien Maignant, qui montre qu'aucun discours porté sur une fiction ne peut s’empêcher de proposer une version alternative du monde raconté, version à laquelle il fait semblant de croire, en se situant discursivement dans une position comparable à celle des personnages — en cohabitant donc la fiction. L'Atelier de théorie littéraire accueille un extrait de chacun des ouvrages : "Le chœur est mort, vive le personnage" et "Lectures ordinaires et naïvetés savantes". Fabula vous invite aussi à découvrir les postfaces des deux volumes : "La tragédie désaccordée", par Lise Michel, et "Vivre au milieu des livres", par Marc Escola.
L'âge critique

Il y a eu la Nouvelle Vague. Mais avant elle, il y avait eu le tsunami critique qui l’annonçait et sur lequel elle a surfé. Rohmer, Rivette, Truffaut ont manié le stylo avant la caméra. Avec verve, vigueur et ce qu’on pourrait appeler une rigueur capricante, ils ont excellé dans les exercices d’admiration, comme dans l’art d’administrer des corrections rarement fraternelles. Escarmouches, coups d’éclat : l’assaut est mené tambour battant contre le cinéma de papa ; et c’est dans cette brèche que, devenus cinéastes, ils s’engouffreront. Il fallait être trois pour évoquer les trois mousquetaires de la nouvelle vague : à l'initiative de M. Cerisuelo, A. de Baecque et D. Zabunyan, la nouvelle livraison de la revue Critique nous redonne à lire les écrits de Rohmer, Rivette et Truffaut, sous le beau titre de L'âge critique.
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Sous le titre Autour de Critique 1946-1962, S. Patron fait paraître de son côté les actes de la première session du colloque "La revue Critique : passions, passages" qui s’est tenu au Centre culturel international de Cerisy-la-Salle et à l’IMEC du 14 au 21 juin 2019. Il concerne la première époque de Critique, revue générale des publications françaises et étrangères, fondée en 1946 par Georges Bataille.
« Quindecim annos, grande mortalis aevi spatium »

Après quinze années passées au Collège de France à la chaire de "Littérature française moderne et contemporaine : histoire, critique et théorie", Antoine Compagnon a donné sa leçon de clôture mardi 12 janvier à 17h45, sous un intitulé emprunté à Tacite: "Quindecim annos, grande mortalis aevi spatium" — c'est un long intervalle que quinze ans dans la vie d'un mortel. Cette conférence, prononcée à huis clos mais diffusée en direct, reste accessible sur le site Internet du Collège de France. Les liens entre Fabula et Antoine Compagnon sont forts, anciens et nombreux ; il a su accompagner le développement du site à des moments importants. Nous lui en sommes reconnaissants. Lui qui prétendait "jouer la littérature à la hausse" dans sa leçon inaugurale, "La littérature pour quoi faire ?", n'a cessé de la servir. Et le fera encore.
Les recettes du succès

Rien n’est plus mystérieux et objet de plus de convoitise qu’un best-seller. Certains livres sont conçus en fonction de recettes menant automatiquement au succès. D’autres, issus du même moule, passent complètement inaperçus – tandis que certains ouvrages réputés difficiles reçoivent parfois un accueil enthousiaste du public. Quel point commun peut-on trouver entre le Capital et Harry Potter, Le Petit Prince et Belle du Seigneur ? Existe-t-il un secret, une technique, permettant de transformer n’importe quel manuscrit en n° 1 des ventes ? Quelle part revient à l’auteur dans cette réussite ? à l’éditeur ? aux lecteurs ? Finalement, depuis le XIXe siècle, que nous disent les best-sellers ? Dans Best-sellers. L'industrie du succès (Armand Colin), O. Bessard-Banquy, S. Ducas et A. Gefen ont réuni une pléiade de spécialistes de la littérature et des métiers du livre pour se pencher sur ces livres exceptionnels, souvent traités avec mépris. Fabula donne à lire le texte de présentation du volume…
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Acta fabula propose par ailleurs le compte rendu par C. Cosker du récent livre de J. Meizoz, Faire l’auteur en régime néo-libéral. Rudiments de marketing littéraire (Slatkine): "Quand le nom d’auteur se fait marque", pendant que la revue COnTEXTES s'attache aux "Logiques de la commande (XXe-XXIe siècles)".
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Mais il y a eu des best-sellers en amont du XIXe. s.: "Les recettes du succès : stérétypes compositionnels et littérarité au XVIIe siècle" sont au centre d'une prochaine journée d'études, le 15 janvier prochain (Rouen en ligne).
Traduire / Celan

Que nous vivions aujourd’hui à l’âge de la traduction veut dire ceci : la traduction n'est pas la petite sœur de l’écriture, elle en est la jumelle, son miroir, peut-être même quelque chose comme son creusement. Le comprendre, c’est comprendre autrement la littérature, le poème et leurs enjeux théoriques, politiques et éthiques. C’est toute la force du récent livre de Tiphaine Samoyault (Traduction et violence, Seuil, 2020) de nous inviter à prendre la mesure de ce changement de paradigme. La récente livraison que la revue Po&sie consacre à la traduction, à l'initiative de M. Deguy, C. Mouchard et M. Rueff, et qui s'ouvre par un entretien avec T. Samoyault, mêle la théorie et la pratique au fil de trois sections : des textes théoriques qui comprennent des passages à la pratique, des traductions ou des retraductions accompagnées de notules théoriques, des traductions ou des retraductions sans commentaire. Qu’un numéro consacré à la traduction s’achève sur un hommage à Paul Celan ne tient pas aux seules circonstances (mort il y a cinquante ans, Celan aurait eu 100 ans en 2020) : Celan n’est pas un poète qui traduit, c’est un poète-traducteur.
La couleur des choses

Les couleurs existent-elles dans les choses ou n’ont-elles de réalité que dans notre regard ? Sont-elles matière ou idée ? Entretiennent-elles les unes avec les autres des rapports nécessaires ou sont-elles seulement connues de manière empirique ? Y a-t-il une logique de notre monde chromatique ? Dans De la couleur (Folio essais), Claude Romano retraverse certaines étapes décisives de la réflexion sur ces problèmes (de Descartes à Newton, de Goethe à Wittgenstein, de Schopenhauer à Merleau-Ponty), pour développer une conception réaliste qui replace le phénomène de la couleur dans le monde de la vie et le conçoit comme mettant en jeu notre rapport à l’être en totalité : perceptif, émotionnel et esthétique. Fabula vous invite à feuilleter l'ouvrage…
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En septembre dernier, le philosophe avait fait paraître un essai, déjà salué par Fabula : La Liberté intérieure. Une esquisse (Hermann), où il défendait une conception originale de l’autonomie, en étayant son propos par l’analyse d’un exemple littéraire, la décision finale de la Princesse de Clèves. On peut lire sur Fabula l'introduction de l'ouvrage, qui faisait suite à un précédent livre consacré à l'idée de "l'existence en vérité", à partir d'une réflexion sur ce moment de l'Odyssée où le plus ancien poème de la culture occidentale, met en scène la métamorphose qui change Ulysse en lui-même sous les yeux dessillés de ceux qui échouaient jusque-là à le reconnaître : Être soi-même. Une autre histoire de la philosophie (Folio essais). En amont encore, Claude Romano nous invitait à repenser à nouveaux frais la méthode phénoménologique en la mettant en dialogue avec d’autres courants de la philosophie contemporaine, et notamment la philosophie analytique, dans un livre plus technique : Les repères éblouissants. Renouveler la phénoménologie (PUF).
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Et si une œuvre philosophique majeure s'édifiait ainsi sous nos yeux ? C'est la question que posait l'une des dernières livraisons de la revue Critique, sous le titre "Claude Romano. Un phénoménologue au cœur du réel".
Le XVIe siècle du XIXe

Et s'il avait fallu inventer le XVIe siècle ? La Renaissance a eu besoin de renaître, et ce sont sans doute les écrivains, artistes et historiens du XIXe siècle qui l'ont façonnée. Dans Le XIXe siècle, lecteur du XVIe siècle (Classiques Garnier), les spécialistes réunis par Jean-Charles Monferran et Hélène Védrine documentent cette relecture esthétique et politique du XVIe siècle. Fabula donne à lire l'introduction de l'ouvrage…
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Mais qu'en fut-il un peu avant ? Quel était donc le XVIe siècle de Montesquieu, Rousseau ou Diderot ? M. Méricam-Bourdet, C. Volpilhac-Auger font paraître de leur côté La Fabrique du XVIe siècle au temps des Lumières (Classiques Garnier encore).
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(Illustr.: Albert Robida, illustration pour Le Tiers Livre de Rabelais (1859), où Panurge, arborant les bésicles qui témoignent de son désir de savoir comme de son inquiétude, se voit transformé en un gentleman fin-de-siècle).