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Mémoires des espaces et espaces des mémoires (Clermont-Ferrand)

Mémoires des espaces et espaces des mémoires (Clermont-Ferrand)

Publié le par Marc Escola (Source : Oriane Chevalier)

Journée d’études des Jeunes chercheurs et chercheuses du CELIS

Mémoires des espaces et espaces des mémoires.

Jeudi 26 septembre 2024

Maison des Sciences de l’Homme, 4 rue Ledru, 63000 Clermont-Ferrand

Organisation : Oriane Chevalier, Paolo Dias Fernandes, Corentin Le Corre (Université Clermont Auvergne)

Quand il s’agit de traiter d’espace, nous ne pouvons qu’humblement constater que le champ sémantique de la notion est aussi vaste que le suggère sa définition la plus intuitive. On pense en effet à l’espace comme dimension aux bornes incertaines marqué tantôt par l’illimité tantôt par la finitude. De l’espace géographique à ses corollaires que sont les paysages et territoires, en passant par l’espace littéraire tel que défini par Maurice Blanchot, les possibilités de l’espace et de ses représentations dans les littératures sont nombreuses. Il semble assez opportun de mettre en regard les espaces et les mémoires. Leurs liens sont évidents, comme le rappellent les différents dossiers de la revue Mémoires en jeu consacrés au sujet ainsi que les travaux de Simon Schama qui consacrent l’analogie entre mémoires et paysages. Plus largement nous pouvons évoquer la poétique de l’espace qui se fonde sur un socle mémoriel et identitaire reposant tant sur l’individu que sur la communauté.

Dans son article « Le cinéma », paru dans L’Italie par elle-même : Lieux de mémoire italiens de 1848 à nos jours, l’historien du cinéma Gian Piero Brunetta considère le cinéma comme un art se formant comme lieu privilégié de la mémoire, et plus particulièrement de la mémoire collective[1]. Cette idée sert en outre de postulat de départ à l’article de Wenjun Deng « Cinéma, lieu de la construction de la mémoire collective », dédié au cinéma chinois des années 1980[2]. Force est de constater que les réalisateurs jouent parfois sur le pouvoir évocateur des images invoquant une mémoire collective des espaces pour mieux transgresser ces derniers. Prenons à titre d'exemples les espaces américains dans l’œuvre de David Lynch, et notamment Twin Peaks, dont l'imagerie d'une Amérique des années 50, jouant de fait sur la mémoire collective, permet de mieux transgresser cette dernière grâce au montage, en jouant sur la porosité des espaces, comme l'écrit Zachary Baqué dans son article « Twin Peaks, ou l'exploration de l'espace américain ». Pour ce dernier, la « fonction réaliste de l'utilisation de l'espace américain dans Twin Peaks basée sur une représentation de lieux connus du spectateur à la fois empiriquement et télévisuellement s'accompagne également d'une fonction sociale mais aussi mémorielle[3] ». 

Notons que la littérature et les arts peuvent participer à la constitution ou la réhabilitation d'une mémoire basée sur la représentation des espaces. Pensons par exemple à la littérature autochtone, dont l'ouvrage de Rita Olivieri-Godet, Écrire l'espace des Amériques : représentations littéraires et voix de femmes amérindiennes, a montré à quel point l'écriture des espaces américains par des auteurs amérindiens participait à « la réappropriation littéraire d'une identité amérindienne[4] » témoignant de cet inflexible lien, dans certains cas, entre les notions d'espace et de mémoire. L'écriture des lieux, sous la plume de l'opprimé, devient revendication d'une mémoire et d'une identité.

C’est à travers la question de la multiplicité des espaces que nous envisageons les mémoires, elles aussi multiples. Ainsi, la question de l’espace géographique comme celle de l’espace littéraire, permettent de développer un certain nombre de pistes concernant les mémoires qui tantôt en sont fondatrices tantôt en émanent. La littérature et le texte s’inscrivent eux-mêmes dans une double dynamique spatiale et mémorielle que l’on peut préciser ainsi : d’une part, l’espace des textes, celui qui se matérialise dans l’objet livre et dans sa mémoire matérielle, forme d’empreinte ; d’autre part, l’espace des littératures, notion davantage linguistique et culturelle autrement dit l’environnement socio-historique des littératures. Dès lors, il peut être intéressant d’appréhender le transfert d’une mémoire dans d’autres aires culturelles et linguistiques, notamment au prisme de la traduction qui déracine la mémoire de son contexte d’origine pour l’introduire notamment sur la scène littéraire internationale. Si la circulation textuelle des mémoires s’intensifie en contexte mondialisé, il en est de même des flux migratoires ce qui amène également à s’interroger sur le rapport de la mémoire migratoire aux espaces.

La littérature est aussi le lieu de représentation des espaces. Pensons notamment aux représentations du paysage et aux perspectives écopoétiques et géopoétiques pour les espaces naturels. Dans une perspective proche car ancrée dans des enjeux historiques, nous pouvons également réfléchir à l'idée de conservation de la mémoire par la représentation d'espaces meurtris par la main humaine. Les survivants des bombardements de Hiroshima et de Nagasaki, comme Tamiki Hara dans sa nouvelle Fleurs d'été, écrivent les espaces détruits pour témoigner de l'événement, le restituer et, de fait, le figer dans la mémoire de l'humanité. Outre cette idée de destruction par l'homme, la littérature de la catastrophe va plus généralement représenter les espaces détruits dans un but de conservation de la mémoire, et ce dès les chroniques des historiens médiévaux, dans lesquelles « [l]es dégâts sont souvent décrits avec précision[5] ».

L’espace représenté admet aussi l’artificiel, l’espace architectural et nous pousse presque avec évidence à nous intéresser aux ruines et aux enjeux mémoriels, mais aussi esthétiques, qu'elles portent en elles. Chateaubriand, dans le Génie du Christianisme, écrivait à quel point le regard du romantique permettait de capter dans la ruine un horizon ouvert vers le passé qu'elle seule peut rendre possible : « mais quand ces temples viennent à crouler, il ne reste que des débris isolés, entre lesquels l’œil découvre au haut et au loin les astres, les nues, les montagnes, les fleuves et les forêts[6] ». Dans l’œuvre romantique, les ruines se révèlent comme la possibilité d'entrevoir un passé que l'on aimerait retrouver, avec toute la mélancolie et la nostalgie que cela suggère. Au XXe siècle, de l'autre côté de l'Atlantique, l'écrivain H.P. Lovecraft, dans sa déconstruction du mythe américain, usera de la représentation d'espaces en décrépitude et en ruine afin de témoigner du déclin des États-Unis. Lorsqu'il décrit la ville fantastique d'Innsmouth, le reclus de Providence alterne entre la beauté des maisons coloniales du passé et les taudis du présent, liant lui-même mémoire et espaces dans une vision décliniste de la société occidentale de son temps. 

Enfin, si l’espace semble être particulièrement marqué par sa dimension matérielle, la question d’un espace numérique occupe aussi les représentations littéraires et notamment les productions ultra-contemporaines. Nous pensons notamment à la poésie numérique, visuelle et sonore ; tout particulièrement aux tentatives holopoétiques. Plus récemment, la vidéopoésie, les filmpoèmes ou encore la création poétique en environnement numérique mobilisent ainsi des espaces immatériels. Cette idée soulève alors la question des mémoires numériques, au sens de socle pour la création, mais également celle de l’absence de mémoires dans un contexte dématérialisé.

Les propositions de communication pourront répondre, sans exhaustivité, aux directions suivantes :

·       Espaces des mémoires et espaces mémoriels.

·       Espaces en mouvement et littérature viatique.

·       Espaces et oubli, à travers la double appartenance des mémoires au lieu et au visiteur.

·       Espaces et mémoires mondiales.

·       Espaces et mémoires dans la traduction.

·       Mémoires dans les différents espaces artistiques : architecture, cinéma, peinture, musique, sculpture, danse, théâtre, bande dessinée, jeu vidéo…

·       Écopoétique et zoopoétique des espaces mémoriels.

·       Espaces et mémoires dans les littératures autochtones.

·       Espaces et mémoires des catastrophes.

Les jeunes chercheurs et chercheuses intéressé.e.s, doctorant.e.s ou docteur.e.s ayant soutenu leur thèse depuis moins de trois ans, peuvent envoyer leurs propositions sous la forme d’un titre accompagné d’un paragraphe d’une quinzaine de lignes et d’une notice biobibliographique d’ici le 21/06/2024 conjointement aux adresses suivantes : oriane.chevalier@doctorant.uca.fr ; paolo.dias_fernandes@doctorant.uca.fr ; corentin.le_corre@doctorant.uca.fr.

Comité organisateur : Oriane Chevalier ; Paolo Dias Fernandes ; Corentin Le Corre.

Comité scientifique : Pascale Auraix-Jonchière ; Philippe Mesnard.

Notes

[1] Gian Piero Brunetta, « Le cinéma », dans Mario Isnenghi (dir.), L’Italie par elle-même. Lieux de mémoire italiens de 1848 à nos jours, Presses de l’Ecole normale supérieure, 2006, p. 218-219. 

[2] Wenjun Deng, « Cinéma : lieu de la construction de la mémoire collective », Cahiers de Narratologie [Online], 26 | 2014, Online since 11 September 2014, connection on 29 January 2024. URL: http://journals.openedition.org/narratologie/6896.

[3] Zachary Baqué, « Twin Peaks, ou l’exploration de l’espace américain », Caliban, 19 | 2006, p. 79-86.

[4] Salomé Roth, Anne Garcia et Cécile Chapon, « Rita Olivieri-Godet, Écrire l’espace des Amériques : représentations littéraires et voix de femmes amérindiennes », Cahiers d’études romanes, 43 | 2021, p. 257-261.

[5] Jacques Berlioz, « Les lendemains des catastrophes naturelles au Moyen Âge », L'Homme face aux calamités naturelles dans l'Antiquité et au Moyen Âge, Actes du 16e colloque de la Villa Kérylos à Beaulieu-sur-Mer les 14 & 15 octobre 2005, Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, Paris, 2006, p. 167.

[6] François-René De Chateaubriand, Génie du Christianisme, Paris, Garnier Frères, 1828, p.362.

Bibliographie indicative

BACHELARD, Gaston, La Poétique de l’espace, Paris, PUF, 2020 [1957].

BARON, Christine, « Littérature et géographie : lieux, espaces, paysages et écritures », Fabula-LhT, n° 8, « Le Partage des disciplines », mai 2011.

BESSON, Rémy, LEDOUX, Sébastien, « Présentation » in Mémoires en jeu, « Le numérique comme environnement mémoriel », n° 14, 2021, p. 45.

CARDON, Dominique, Culture numérique, Paris, Presses de Sciences Po, « Les petites humanités », 2019.

CHEAH, Pheng, What Is a World? On Postcolonial Literature as World Literature, Durham, Duke University Press, 2016.

COLLOT, Michel, La Pensée paysage, Paris, Actes Sud/École nationale supérieure du paysage, 2011.

GAUDREAULT, André, GROENSTEEN, Thierry (dirs.), La Transécriture. Pour une théorie de l'adaptation. Littérature, cinéma, bande dessinée, théâtre, clip, Québec, Editions Nota Bene, 1998.
GELINAS-LEMAIRE, Vincent (dir.), Le monde en ruines : espaces brisés de la littérature contemporaine, Montréal, Presses Universitaires de Montréal, 2021. 

LEITCH, Thomas, Film Adaptation and its Discontents, Baltimore, John Hopkins UP, 2007.

OLIVIERI-GODET, Rita, Écrire l’espace des Amériques : représentations littéraires et voix de femmes amérindiennes, New York, Peter Lang, 2019.

JURGENSON, Luba, MESNARD, Philippe, « Paysages de mémoire : Introduction » in Mémoires en jeu, « Paysages de mémoire », n° 11, 2020, p.4.

SCHAMA, Simon, Landscape and memory, A.A. Knopf, New York 1995.

TALLY, Robert T., Topophrenia: Place, Narrative, and the Spatial Imagination, Bloomington, Indiana University Press, 2018.

WHITE, Kenneth, Le Plateau de l’Albatros. Introduction à la géopoétique, Paris, Grasset, 1994.

ZOBERMAN, Pierre (dir.), GARNIER, Xavier (dir.). Qu'est-ce qu'un espace littéraire ? Nouvelle édition [en ligne], Saint-Denis, Presses universitaires de Vincennes, 2006.