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Le réenchantement à contretemps ? Irrationalité et postmodernité littéraire (Montréal)

Le réenchantement à contretemps ? Irrationalité et postmodernité littéraire (Montréal)

Publié le par Marc Escola (Source : Martin Hervé)

Le réenchantement à contretemps ? Irrationalité et postmodernité littéraire

Les 23 et 24 mai 2024, au Carrefour des arts et des sciences de l'Université de Montréal (salle C-3061, pavillon Jean-Brillant)

Organisation :

Martin Hervé, Marie-Pascale Huglo et Claire Legendre (Université de Montréal, CRILCQ)

L'événement sera diffusé simultanément sur Zoom.

Lien de connexion : https://umontreal.zoom.us/j/87393981311?pwd=R1RsWjl5Z3lNaU9WWnlxa3Q2aFV3QT09

On assiste depuis plusieurs années à une véritable multiplication des formes du « réenchantement ». Celui-ci semble se décliner en autant de manifestations que de tentatives de définition dans des champs aussi variés que la philosophie, l’anthropologie, la sociologie, l’histoire de l’art et l’urbanisme. C’est que le terme, polymorphe et axiologiquement orienté, se prête à une multitude d’usages qui assurent autant son succès dans l’ordre du discours qu’un certain flou épistémologique. Impossible pourtant de s’y référer sans renvoyer aussitôt à ce contre quoi il a été inventé, à savoir le concept de « désenchantement du monde ». Celui-ci, introduit par Max Weber à l’orée du XXe siècle, serait paradigmatique d’une modernité bâtie sur un idéal de progrès, sur l’essor de la technique et sur l’exclusion progressive du religieux. C’est par conséquent toute l’aventure postmoderne qui se jouerait entre le constat désenchanté d’un monde privé de ses repères culturels et symboliques, et une volonté de le réenchanter par le biais d’une dénonciation des valeurs épistémologiques et politiques d’inspiration positiviste.

Si Jean-François Lyotard ne cible pas précisément l’irrationnalité comme une caractéristique propre à la condition postmoderne, « l’incrédulité à l’égard des métarécits » (1979), la crise de l’idée de progrès et le bouleversement des cadres de légitimation du savoir dont il rend compte induisent pourtant qu’un champ se trouve dorénavant libre pour l’expression d’épistémés et de systèmes de pensée jusque-là déchus ou ignorés. Mais cela ne va pas sans générer de constantes remises en cause du principe de réenchantement au nom des dérives qu’il engendrerait, entre nouveau conservatisme spirituel, avatar merveilleux de l’hégémonie culturelle libérale et exotisme occidental aveugle aux dynamiques globalisées de domination, quand il n’est pas le signe de la ruine de l’idée même de politique. Au-delà des débats et des polémiques qui témoignent de l’actualité de cette question, ce colloque veut inviter à problématiser le réenchantement dans une direction bien spécifique qui est celle de l’irrationnalité postmoderne. Le réenchantement ouvre en effet un nouveau chapitre dans l’histoire de cet objet fuyant qu’est l’irrationnel, souvent ramené de façon un peu schématique et dépréciative à ce qui s’oppose à la raison et à l’exercice méthodique de la pensée, en somme ce qui résiste à une entreprise d’objectivation et d’élucidation.

Or c’est sans doute dans le domaine de la littérature qu’il semble possible de saisir le plus finement les ressorts et implications de cette irrationnalité dont le réenchantement serait l’une des expressions en régime postmoderne. Non seulement la littérature a pu assumer une fonction critique à l’égard du grand partage entre rationalité et irrationnalité, mais elle a surtout été de longue date l’un des lieux privilégiés d’un non-savoir (Pic et al., 2012), où l’ineffable et l’extraordinaire de nos vies trouvent à être recueillis, sans rien entamer de leur contradiction ni de leur mystère. En réhabilitant une certaine intelligence du sensible, plusieurs écrivaines et écrivains ont même cherché à dénoncer le réalisme du canon littéraire pour revaloriser des formes de connaissance ou des modes de cognition échappant aux critères du logocentrisme (comme l’imaginaire, l’intuition, les émotions, le rêve).

À cette hypothèse d’ordre épistémologique s’en ajoute une autre de nature plus politique. Loin de signifier simplement un refus ou une impossibilité du politique, les formes littéraires adoptées par le réenchantement paraissent militer en faveur d’un questionnement sur les principes, les motivations et les écueils d’un « faire commun » (Morizot et Zhong Mengual, 2018), qui en passerait par les moyens propres à l’art et à l’imagination. Toute porte même à croire que plusieurs de ces formes créent ou mobilisent des modèles particuliers d’interactions, de sensibilités et de pensées qui participent à la fondation d’un nouveau « partage du sensible » (Rancière, 2000).

On voit combien le principe du « réenchantement » est partie prenante de plusieurs définitions, valeurs et pratiques associées aujourd’hui à l’idée de littérature. C’est ce qu’attestent la résurgence du surnaturel et du conte dans la fiction ; le primat du sensible et des émotions « indisciplinaires » ; l’appel aux savoirs et aux traditions autrefois marginalisés ou disqualifiés (celui des femmes, des queer ou des autochtones) ; l’écopoétique et l’attention portée à la nature et au non-humain. User des « pouvoirs de l’enchantement » (Besson, 2021) apparaît donc comme un moyen d’investir des genres, des dispositifs et des imaginaires très variés. En réunissant des spécialistes du Canada et de l’étranger, ce colloque veut ouvrir un espace de réflexion sur les façons dont les écrivaines et les écrivains proposent, depuis les années 1980, de réenchanter le monde, à travers quels modes, mais aussi pour quelles fins.

Programme

JEUDI 23 MAI 2024
9h30 – Accueil

10h – Mot de bienvenue du comité d’organisation

10h15 – La raison littéraire décentrée
Présidence : Muriel Pic (Université de Lausanne)

Marie-Hélène Boblet (Normandie Université) : La cosmophilie d'Henri Raynal : penser l'honneur d'être au XXIe siècle

Bénédicte Meillon (Université d’Angers) : Le réenchantement écopoétique du monde face à la déraison écologique 

11h30 – PAUSE

11h45 – Politiques du sensible 
Présidence : Claire Legendre (Université de Montréal)

Anne-Martine Parent (Université du Québec à Chicoutimi) : Travaux d’aiguille : écriture, tissage et filiation

Maïté Snauwaert (University of Alberta) : Animaux du chagrin 

13h – LUNCH

14h30 – Épistémologies intuitives
Présidence : Anne-Martine Parent (Université du Québec à Chicoutimi)

Corentin Lahouste (Université Laval) : Susciter la création de possibles entre « datas techniques » et « flow lyrique » : facettes du réenchantement dans Chimère d’Emmanuelle Pireyre

Martin Hervé (Université de Montréal) : D’un invisible à l’autre : vers un surnaturalisme queer

Muriel Pic (IHM/Lausanne et écrivaine) : Lire dans la poussière. Le détail révélateur dans la pensée du XXe siècle entre philologie et divination

16h30 – PAUSE

17h – TABLE RONDE : Écrire sous le signe de l’enchantement
Animation : Catherine Mavrikakis (Université de Montréal)

Avec les écrivaines Catherine Lalonde, Sophie Létourneau et Audrée Wilhelmy

18h30 – FIN DE LA PREMIÈRE JOURNÉE

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VENDREDI 24 MAI 2024

9h30 – Accueil 

9h45 – Rêver à de nouvelles cosmologies  
Présidence : Laurent Demanze (Université Grenoble Alpes) 

Simon Levesque (Université du Québec à Trois-Rivières) : Le Clézio lecteur de Lautréamont : l’influence des Chants de Maldoror. De l’idiosyncrasie au panpsychisme

Khalil Khalsi (Université de la Manouba) : Le réenchantement au prix de l’altérité

11h – PAUSE

11h15 – De l’enchantement à l’inquiétude 
Présidence : Martin Hervé (Université de Montréal)

Anne-Sophie Donnarieix (Université de la Sarre) : Fictions palliatives. Fictions disruptives. Modalités de mobilisation du surnaturel en littérature 

Catherine Bastien (Université de Montréal) : La sorcière sortie des bois : collectivité et résistance chez les sorcières contemporaines

12h30 – LUNCH

14h – Les techniques de l’émerveillement
Présidence : Khalil Khalsi (Université de la Manouba)

Emmanuelle Lescouet (Université de Montréal) : Réenchanter les lieux par les strates numériques

Sophie Beaulé (Saint Mary’s University) : La disparition : enjeux spatiopolitiques montréalais dans Montréel d’Éric Gauthier

15h15 – PAUSE

15h30 – Un monde à habiter
Présidence : Marie-Pascale Huglo (Université de Montréal)

Véronique Basile Hébert (Université du Québec à Trois-Rivières) : Le chamanisme chez Jovette Marchessault, le théâtre comme véhicule de l'invisible au visible

Laurent Demanze (Université Grenoble Alpes) : Habiter : un dispositif de réenchantement, entre défamiliarisation, émerveillement et étonnement

16h45 – MOT DE LA FIN